Jeudi 7 mai 1954, dernier jour de la bataille.
Situation générale :
« Éliane » 4 tombe au matin. A 10 heures, le général de Castries qui n’a pas vraiment dormi depuis dix jours téléphone à Cogny et lui rend compte de la situation désastreuse, indiquant les forces qui lui restent et qui diminuent au fur et à mesure de la conversation. Ils décident d’appliquer le plan « Albatros ». Pendant que le gros des forces sortira, de Castries tâchera de tenir le plus longtemps possible avec ce qui restera. Hélas, une mauvaise nouvelle va tout compromettre : un Corsair de l’aéronavale largue les dernières photos aériennes et, au sud, ce n’est plus une tranchée qui barre le passage mais trois. Une sortie dans ces conditions est suicidaire. Le commandement y renonce.
Le combat continue au grand jour, les Viets ne dissimulent plus leurs préparatifs, le centre de résistance principal est cerné. Le désordre est indescriptible mais les Français tiennent comme ils peuvent entre l’est et l’ouest, ils sont presque dos à dos pour contenir la pression ennemie avec une énergie surhumaine.
L.H. Legrain raconte :
« Dans la matinée du 7 mai, le sergent Carre des mortiers de 81 du « 8 » vient me dire dans mon abri-infirmerie :
-
- Tu sais Legrain, les Viêts sont rendus à la rivière, juste en face !
- Alors là ! Ils vont prendre leur dernière volée ! Dis-je naïvement. »
A 8 heures, à l’exception de quelques résistances au bord de la rivière, la totalité des points d’appui de l’est sont aux mains des Viets.
Situation au 8ème Choc :
Au 8e Choc, les derniers tués sont le sergent-chef Paul Pibouleau de la « 2 », le sous-officier le plus ancien et le plus décoré du bataillon (on ne sait pas exactement où il a été tué ni comment ; peut-être entre « Éliane » 10 et la Nam Youm ?), le sergent-chef Jean Mathy de la « 4 » tué au bord de la rivière dans un dernier baroud d’honneur, éventré par un éclat, il mettra des heures à mourir. Le caporal Albert Le Mouël de la « 4 » est tué sur « Eliane » 10. Le para Jean Touchet et le sergent-chef Paul Nissen sont tous les deux tués par le même obus qui a blessé Mathy et le sergent Michel Dolhem de la « 3 » est tué peu avant la reddition.
LES DERNIÈRES NOTES DE LA SYMPHONIE BARBARE
Vers la fin de l’après-midi, le général de Castries s’entretient seul avec le colonel Langlais.
Colonel Langlais : « Accompagné de Lemeunier et de Vadot, je me rends chez le général. Il est dans son abri, seul. A ses côtés, le téléphone hertzien avec Hanoï. Je lui rends compte de la situation et de l’impossibilité de tenter une sortie. Puis mes camarades sortent. Il est 16 heures. Le général appelle Hanoï et me tend un écouteur. Le général Cogny est au bout du fil… ».
Le général demande l’autorisation à Cogny d’envoyer des parlementaires aux Viêts. Celui-ci accepte. Et c’est alors qu’intervient la fameuse conversation dont on possède toujours l’enregistrement. A-t-il été arrangé ?
Le texte fut commercialisé mais ne reproduit pas ce qui est souligné ici, donné par le colonel Rocolle, Cogny ne voulant pas montrer qu’il avait reçu des ordres et qu’il agissait donc seul.
(Mettre le son)
Cogny : « Dites-moi mon vieux, il faut finir maintenant, bien sûr mais pas sous forme de capitulation. Cela nous est interdit. Il ne faut pas lever le drapeau blanc, il faut laisser le feu mourir de lui-même mais ne capitulez pas. Cela abimerait tout ce que vous avez fait de magnifique jusqu’à présent ! ».
de Castries : « Bien mon général, seulement, je voulais préserver les blessés ».
Cogny : « Oui seulement j’ai un papier moi : je n’ai pas le droit de vous autoriser à faire cette capitulation. Alors faites cela au mieux. Mais il ne faut pas que ça finisse par un drapeau blanc. Ce que vous avez fait est trop beau pour que l’on fasse cela. Vous comprenez mon vieux ? ».
de Castries: « Oui mon général ».
Cogny : « Allez, au revoir mon vieux ! ».
Le général Cogny n’avait pas tort d’appeler par sympathie le commandant du GONO : « Mon vieux » car il avait pris dix ans mais il aurait pu trouver mieux comme parole historique que cette banalité peu militaire.
C’est ainsi que l’ordre fut envoyé à tous les points d’appui de cesser le feu à 17 h 30 le 7 mai, après avoir détruit toutes les armes. Le lieutenant Jacques Allaire, chef de la section des 120 du 6ème BPC, exigea un ordre écrit de Bigeard qui le lui envoya. Il le garda toute sa vie.
LE BÉRET ROUGE
Colonel LANGLAIS :
… « Je brûle mes lettres, mes documents, le récit de la bataille que j’écrivais chaque nuit, que je lisais souvent le lendemain à mes camarades.
Je brûle un cadre de cuir et la chère image, à bord de mon voilier, de celle qui est devenue ma femme. Je brûle mon béret rouge de para.
Et Diên Biên Phu s’ensevelit dans le linceul des soixante mille parachutes largués en son ciel pendant la bataille mais il n’y a pas un seul drapeau blanc sur les positions.
Les écoutes ennemies ont appris que l’attaque générale doit reprendre avant la nuit. A 17 heures l’ordre est donné de détruire tout ce qui peut être détruit. Les dernières munitions d’infanterie sont jetées à pleines pelletées dans la rivière. Les postes radio martelés, les hommes enfoncent dans le parapet des tranchées les canons de leurs armes et lancent leur ultime rafale. Les artilleurs sortent de leurs lots les grenades au phosphore et soudent les culasses.
Les moteurs des deux Chaffee qui tournent encore sont emballés sans huile.
Pour la dernière fois, je descends les marches du PC. Toute mon équipe est là. Les yeux humides disent le désespoir d’une lutte aussi implacable et aussi vaine… ».
Lieutenant RACCA :
… « Aussitôt, nous voici dans les tranchées, au coude à coude, sans savoir que le contre-ordre va arriver rapidement :
« Rejoignez vos positions, détruisez les armes, munitions et postes-radio ; attendez-vous à voir arriver les Viets à partir de 17 heures ».
Sur le coup nous récriminons. Nous passons d’un danger à l’autre : de la fuite à travers les lignes viets à l’enfermement dans les camps des mêmes Viets … Et aussitôt, pensons-nous : « Vivants d’accord mais prisonniers ? Et pour combien de temps, si nous en revenons ? »
Nous retournons dans nos tanières, détruisons armes, munitions et radios. Nous prenons chacun les quelques vivres de combat qui nous restent. Les Viets, vers 17 heures, sont au rendez-vous : nerveux, ils nous conduisent jusqu’à une large piste où, dans un tournant en épingle à cheveux (que je revois encore), ils séparent les Français des Vietnamiens, nos « vieux » compagnons désemparés dont les regards disent toutes leurs craintes. Les larmes aux yeux, nous repartons, séparément… ».
À L’ANTENNE CHIRURGICALE
Médecin commandant GRAUWIN :
… « Il est 16 h 15. Toujours ce silence auquel on ne s’habitue pas. Mes infirmiers ont effectué un travail extraordinaire.
- Qui est allé chercher de l’eau à la rivière ?
- C’est nous mon commandant répondent en s’excusant N’Diaye, Lachamp et Sioni.
- Dans les boyaux, on a fait les pansements comme on a pu. On s’est arrêté à la rivière.
La tenue de Geneviève est tachée de sang et de boue. Elle n’a pas dormi depuis deux jours. Son abri est bondé de paras et de légionnaires.
Je vois arriver le commandant Tourret. Comme d’habitude, il vient me voir après le briefing. Il s’arrête devant moi.
Sur son visage, je lis une extraordinaire gravité :
- Voilà, toubib, c’est fini… A 17 h 30, nous cessons le feu, nous cessons toute résistance. Ceux qui le pourront détruiront leurs armes et feront sauter les dépôts de munitions.
Il me serre la main, me la serre encore. Ses yeux se voilent de larmes. Sous ses joues, les muscles se contractent violemment. Une vive émotion m’étreint la gorge.
Adieu, toubib !
Il se détourne et s’en va. Patrice le suit en disant : « Adieu mon commandant. Moi je ne veux pas être prisonnier des Viets. Je vais essayer de filer et j’emmènerai le commandant Tourret. »
Les gars du GAP 2 viennent me voir un par un, avec des visages que je ne leur connais pas ; leurs yeux sont brillants de rage contenue. Ils sont venus me dire « adieu ».
Maintenant, je suis seul, irrémédiablement, avec ma misère, ma boue, ma sueur, mes morts, mes mourants et mes blessés.
Je vais revivre juin 1940. Prisonnier pour la deuxième fois… ».
LA FIN D’ÉPERVIER
BERGOT:
… « Le sous-lieutenant BONELLI a été pris sur « Épervier ». Il était le dernier représentant du 8ème Choc. Il s’est retrouvé seul au milieu de la cohue de ces inconnus, des camarades de combat qu’il n’a jamais encore rencontrés. Ils sont pour lui presque des étrangers.
Comme un somnambule, il a suivi la foule, traversé la Nam Youm sur le pont Bailey, déminé quelques minutes plus tôt.
Et puis, au pied de « Dominique », une immense fatigue s’est abattue sur ses épaules. Comme un paysan qui, sa journée finie, se redresse et détend ses muscles douloureux en laissant tomber son outil, BONELLI a dégrafé ses équipements. Il s’est allongé à même le sol, sur le bord de la route, son bidon sous la tête. Et il s’est endormi… ».
LANGAGE HÉROÏQUE, DÉMOCRATIQUE, POPULAIRE … COMMUNISTE QUOI !!
Témoignages général Giap et récits 1945-1954
« Nos combattants, pleins de fougue et d’ardeur, avancent avec la vitesse d’un ouragan. » Dès qu’ils font leur apparition, une forêt de drapeaux blancs surgit comme par magie. Le chef de section Chu Ba Thé à la tête de son unité franchit rapidement le pont de Muong Thanh puis emprunte le chemin tracé par les chenilles de tanks ennemis pour se diriger vers le secteur central. Les drapeaux blancs se font de plus en plus nombreux.
Voyant la situation tourner en notre faveur, Thé ordonne à ses unités d’avancer le plus rapidement possible. Les fantassins, présents sur leurs positions, se rendent. Dépassant cette position, nos combattants continuent leur course en avant.
D’une voix forte, Thé demande à un sous-lieutenant fantoche que nous venons d’arrêter :
Où se trouve donc l’abri de de Castries ?
C’est par là, dit le sous-lieutenant, levant le bras pour indiquer la direction à prendre.
Thé, suivant des yeux la direction indiquée, aperçoit de nombreux sacs de sable empilés en un gros monceau aussi haut qu’une colline sur lequel flotte un drapeau blanc. Il en déduit que là se trouve la retraite du général… ».
DES ENFANTS
TROCME :
… « Les ordres arrivent : « Démontez vos armes et enfouissez-les dans la boue ». A partir de là, la tristesse s’installe et aujourd’hui encore elle continue à faire des ravages. Vu de mon côté, on devait gagner… avec fierté. Vers 17 h 30, des Viêts très jeunes, des enfants propres avec des armes bien huilées et un petit chiffon au bout du canon… Chez nous, je n’ai pas vu de drapeau blanc… ».
DRAPEAU BLANC
BRYARD :
… « Je suis avec un radio ; il y a aussi le sergent-chef MOL du 2e bureau et quelques autres, des Vietnamiens. Nous recevons l’ordre de détruire tout ce que nous avons comme matériel parce que c’est fini.
Vers 17 h 30 à peu près, une fois que nous avons tout fait sauter, nous voyons débouler une marée humaine…
Mais il y a une chose qui est totalement fausse, parue dans une certaine presse : il n’y a jamais eu de drapeau blanc sur le PC du général de CASTRIES. Je peux l’assurer car je me trouvais alors à cinquante mètres. Si on en voit sur certaines photos, c’est que celles-ci ont été prises au cours de reconstitutions ultérieures par les Viets… ».
UN BO-DOÏ PAS RASSURÉ
PREGNON :
… « Nous sommes dans un abri avec des lits superposés faits de piquets de barbelés avec des caï-phens sur lesquels les gars sont allongés.
Je suis en bas de l’escalier qui mène à la surface. Soudain, on voit des espèces de sandalettes qui descendent puis un Viêt tout tremblant avec une mitraillette à camembert. Dans une main, il a une grenade dégoupillée.
En principe, quand on veut descendre dans un abri comme ça, on jette d’abord la grenade et on descend ensuite.
C’est ce que j’aurais fait. Il est vrai que c’était fini. Le combat était fini, c’est pour cela peut-être qu’il n’a rien fait mais nous nous sommes regardés : « Il va nous grenader, il va nous grenader ce con là ! » Dehors, un silence complet, ça fait drôle après cinquante-cinq jours de bruit infernal. Le gars est descendu, ses jambes flageolaient et puis il a appelé.
Un autre gars est descendu avec un pistolet, il a dit : « Bon, bon ça va ! Quoi ? C’est blessés, c’est blessés, OK ! » Et il est reparti. Une sentinelle est restée en haut de l’escalier… ».
GRAND SOULAGEMENT ET CIGARETTES
BAUCHET :
… « A l’heure du cessez-le-feu, donné peu de temps auparavant par radio, ce qui reste de la 1e compagnie est dans ses tranchées sur « Dominique » 4. Le matériel est détruit, il faut sortir des trous. Le capitaine de SALINS dit à l’adjudant BAUCHET d’y aller le premier.
Celui-ci s’exécute et se retrouve debout dans le no man’s land. Il est seul, sur les autres positions, après un rapide tour d’horizon, il n’y a personne dehors. Il songe à la montre du commandant d’unité : elle doit avancer, pense-t-il.
En face, soudain, à moins de 30 mètres, des Viets se redressent et s’avancent. Il craint leur réaction mais ils sont chaleureux et courtois ! L’un d’eux esquisse presque une accolade en posant ses deux mains de chaque côté des épaules du Français. Ils offrent des cigarettes.
Le sous-officier est très surpris et comme il le précise: « J’ai plus senti chez eux un grand soulagement qu’une joie quelconque de la victoire. » Quelque temps après, les prisonniers sont guidés jusqu’à un point de rassemblement vers le nord-est, à l’endroit où la RP 41 venant du col des Méos arrive dans la vallée de Diên Biên Phu.
L’adjudant BAUCHET ne regrette qu’une chose sur l’instant : c’est sa musette pleine de vivres laissée dans la tranchée au moment où le capitaine lui a demandé de sortir. Hélas, dit-il, si les premiers Viêts qui étaient de vrais combattants ont été corrects, ceux qui leur ont succédés au point de rassemblement pour le tri ont été radicalement différents. Des planqués de l’arrière semble-t-il, très agressifs… ».
UN CALME ÉTRANGE
L.-H. LEGRAIN :
… « 17 heures, je sors de mon abri ; dehors c’est le calme, un calme étrange, poignant après cinquante-cinq jours d’un vacarme infernal entrecoupé de rares accalmies, cinquante-cinq jours d’enfer.
Partout sur les points d’appui, le feu consume les dépôts de munitions et de matériels ; les lourdes pièces d’artillerie sont renversées, criblées d’éclats, parfois même déchiquetées. Les mitrailleuses lourdes sont déformées, calcinées, en pièces. Partout des cratères encore sanglants, un fantastique paysage d’apocalypse a remplacé l’ensemble bien ordonné de la place de Diên Biên Phu ; un drapeau blanc à croix rouge flotte mollement sur l’antenne chirurgicale.
Les compagnies viets courent en tous sens et les colonnes de prisonniers sont déjà en route vers le nord sur la route 41.
Les Viets semblent étonnés de leur victoire. Assis à l’entrée de ce qui a été mon abri, je vois passer le général de CASTRIES, son calot rouge de spahis sur la tête, une cigarette aux lèvres, entouré de son état-major et conduit par des officiers viets. Je vois aussi des camarades du 8ème Choc, les traits déformés autant par la fatigue que par ce qui leur arrive ; quelques-uns me font des signes d’adieu d’un geste las, dont certains que je ne reverrai jamais plus.
Quelques autres me font un petit geste de la main que je comprends : ils ont déjà l’intention de s’évader. Bien peu y parviendront.
Un officier Viêt vient vers moi et m’ordonne de suivre mes camarades puis, en voyant ma jambe plâtrée, il me dit de rester là. REGNIER veut s’en aller à l’antenne du bataillon, nous vidons chacun une petite fiole d’eau de vie qui nous restait. Mes Vietnamiens sont déjà partis.
Je rentre dans mon abri, triste, écœuré, honteux et rempli de rage. C’est fini, nous avons fait notre devoir entièrement, comptant sur la victoire jusqu’au bout et c’est la défaite qui vient de s’abattre… ».
DES VERS
ISSERT :
… « J’ai été capturé le 7 mai à l’infirmerie du 8e Choc. Ils sont entrés. J’étais le premier, il y en a un qui a braqué son pistolet-mitrailleur sur moi mais il n’a pas tiré. Nous étions sept dans cet abri. Trois jours après, ils nous ont sortis et ils nous ont mis sous des parachutes qui formaient de grandes tentes pour nous abriter du soleil, près de la rivière.
Je suis resté là dix-neuf jours avec juste un pansement. Il y avait des vers qui sortaient de ma plaie… »
SCH Jacques FLEUROT 3e Thaï
Le chef de bataillon (er) FLEUROT Jacques, Ami du 8, est décédé le 15/10/2019 à Castres
ON DIRAIT QU’ILS JOUENT
FLEUROT 3° Thaï /3e REI
Le 7 mai, en début d’après-midi, une nouvelle circule. « Le cessez-le-feu aura lieu à partir de dix-sept heures. » Cette annonce nous assomme, nous refusons d’admettre une telle injustice. L’ordre de tout détruire se répand. Comme des automates, blessés et valides s’acharnent sur les armes et les postes radio. Lentement s’écoule cette crispante attente, avec au fond du cœur un espoir de miracle.
Vers 17 h 30, de partout surgissent des bo-doïs pieds nus, pantalon retroussé, casque en latanier sur la tête, l’arme menaçante. Ils pénètrent dans les abris, fouillent du regard, ressortent et continuent leur course effrénée. Ils sont tous très jeunes. On dirait qu’ils jouent. C’est ainsi que je me suis retrouvé avec une vingtaine d’autres blessés, rassemblés par l’aumônier, le père GUERRY. Nous sommes aveuglés par la lumière du jour que nous n’avions pas vue depuis de longues semaines, à moitié nus, le corps et les pansements recouverts de boue. Interpellés par les Viets… Di ! Di !
Allez ! Allez ! Protégés par le père, nous n’avons pas réagi. L’aumônier, parlant vietnamien, a su les convaincre que nous ne pouvions pas nous déplacer.
Devant nos yeux, se met en route la longue colonne de prisonniers ; elle chemine en direction des positions perdues sur lesquelles gisent pêle-mêle des milliers de cadavres amis et ennemis.
Vision irréelle ! D’où sortent tous ces hommes, certains en treillis presque propre et la figure reposée ? Les hommes qui ont tant manqué pendant la bataille ! Humiliation supplémentaire qui renforce l’admiration, la reconnaissance que nos portons à tous ces garçons admirables qui se sont tant battus, qui ont tant souffert, tant donné dans l’accomplissement de leur devoir de soldat. La nuit tombe, la colonne continue… Nous allons passer notre première nuit de prisonniers terriblement abattus, le père nous apporte un parachute, il le jette sur nous et nous invite à prier avec lui.
Il fait froid, humide. D’ « Isabelle », nous parviennent des bruits de combats discontinus, de fortes explosions. Haut dans le ciel, un avion tourne, sa ronde durera plusieurs heures ».
LES CRABES DE TERRE
Langlais :
… « En face de moi, à 50 mètres, sur la rive gauche de la rivière se tenait toujours la « cour des miracles ». La berge, à cet endroit, formait un espacement percé d’alvéoles comme une ruche. C’était là que s’étaient réfugiés par centaines les déserteurs de la bataille. Ils grouillaient… Proliféraient. Nous n’avions pas le temps de nous occuper de ces misérables rebuts.
Ils étaient tapis dans leurs tanières comme ces crabes terrestres que l’on trouve sur les côtes tropicales, jaillissant, les pinces en avant à la recherche d’une pitance, se terrant au moindre bruit. Nos crabes aussi sortaient de leurs trous la nuit pour dérober des rations parachutées qui s’accumulaient dans leurs souterrains. Quand la faim fit son apparition au camp, ils organisaient un fructueux trafic, un marché noir de vivres ; on m’assura même qu’il y avait eu avec des imprimés volés et des signatures imitées, des ventes de citations. Tous les champs de bataille ont leur lie… ».
La question de leur élimination a été posée mais aucune sanction n’a pu être prise, affirme le général de CASTRIES, le groupement n’étant pas juridiquement assimilé à une place assiégée.
En effet, la place de Diên Biên Phu n’était pas, d’un point de vue juridique, considérée comme assiégée ! Peut-être aurait-il fallu demander une déposition au général GIAP !
Avenue du lieutenant Jacques Desplats
81108 Castres Cedex