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POUR NE PAS OUBLER

Il y a 41 ans au Liban : Le Drakkar un piège mortel pour les paras français.

https://www.france24.com/fr/drakkar-attentat-liban-beyrouth-parachutistes

En ce 23 octobre, jour anniversaire de l'attentat du Drakkar au Liban où 58 soldats français ont perdu la vie, BV a interrogé M.P*, engagé sur place, qui témoigne de ce qu'il a vécu. À l'époque, le Liban était ravagé par la guerre civile et les soldats de l'armée française envoyés pour « ramener la paix ».

Sabine de Villeroché. Quelles circonstances vous ont amené à être présent au Liban, ce 23 octobre 1983, jour de l’attentat du Drakkar qui provoqua la mort de 58 soldats français ?

  1. P. Avec ma compagnie, nous faisions partie de ce qui se nommait alors la FMSB (Force multinationale de sécurité à Beyrouth). À distinguer de l’ONU. C’était une particularité, car depuis 1978, la France servait au sein de la FINUL (dont on parle, aujourd’hui, à la frontière israélienne au Sud-Liban, les fameux Casques bleus). Nous étions sous béret rouge, nos bérets d’origine. Avec le 17e régiment du génie parachutiste (17e RGP), nous étions partis pour la mission appelée Diodon 4, comme d’autres régiments parachutistes ; positionnés sur la ligne verte transverse qui divisait Beyrouth en deux, en proie aux bombardements toutes les nuits. Les Américains, pour leur part, étaient à l’aéroport et les Italiens aux portes de la ville.

À l’époque, dans mon souvenir, nous n’entendions pas parler du Hezbollah mais plutôt des Amal, qui étaient face aux chrétiens. J’ai connu le nom du Hezbollah plus tard.

 [Le Hezbollah (qui signifie « Parti de Dieu » ) a été créé, en réalité, en 1982 au Liban à l’initiative de l’Iran, soit un an avant l’attentat du Drakkar, NDLR]

Nous étions là pour faire notre « mission génie » de dépollution (déminage) et de merlonage, c’est-à-dire de fabrication de buttes de terre positionnées en travers des rues pour empêcher les trajectoires de voitures piégées. Nous devions essayer de maintenir la paix.

Le dimanche 23 octobre (c’était un dimanche matin), je me trouvais sur la terrasse de notre position avec le transmetteur. Tous les jours, un ou deux obus étaient envoyés sur une de nos positions, ces obus venaient de Syrie. Nous étions habitués au bruit et à la fumée qu’ils produisaient. Mais à 6 heures du matin ce jour-là, nous avons entendu un énorme bruit qui nous paraissait particulièrement plus important que d’habitude. Nous nous sommes rendu compte que ça venait de l’aéroport.

[Quelques minutes avant l’attaque du Drakkar, un attentat suicide frappait le quartier général des Marines américains, faisant 241 morts, NDLR].

Puis, à 6h20, nous avons entendu une deuxième explosion, cette fois à un kilomètre de chez nous et, par la radio, nous avons appris qu’il s’agissait du Drakkar. À partir de là, le capitaine qui commandait la compagnie nous a demandé de rassembler les hommes, préparer les engins, les chaînes, les câbles, tout le matériel, et de nous porter sur les lieux au plus vite. Un gros quart d’heure après, nous étions sur les lieux, prêts à intervenir. On était en état de guerre permanent, c’était un séjour difficile ; depuis le début, nous avions pas mal de blessés au niveau du contingent français.

Arrivés sur place, le Croissant libanais, qui est l’équivalent de la Croix-Rouge française, avait déjà sorti un ou deux survivants ; ils avaient du métier face à ce genre de sinistre. Le bâtiment est tombé en tournant sur lui-même, comme une sorte de mille-feuille. Le Croissant libanais ayant plus l’intelligence de ces pratiques (nous n’étions pas formés au sauvetage-déblaiement), ils ont attaqué par l’arrière et le dessous du bâtiment et par les endroits où il fallait. Ils ont donc sorti les premières victimes. Nous avons ensuite commencé à fouiller avec nos mains, avec nos pelles, avec nos pioches, marteaux piqueurs, avec ce que l’on avait, mais nous n’étions pas outillés pour soulever des dalles de béton de 30 tonnes. Nous avons fait ce que nous pouvions, sauvant les premiers survivants – quatre ou cinq, de mémoire. Ma section a sorti l’une des victimes qui était bloquée sous les décombres par un fer en béton planté dans sa cuisse. Il a fallu couper ce fer à béton à l’aide d’une scie à métaux pour le sortir de là.

Le lendemain ou le surlendemain, les maîtres-chiens de la Sécurité civile venus de France en renfort ont fouillé à leur tour les décombres. Nous faisions silence pour repérer les blessés dans le bâtiment. Pendant deux jours, nous avons entendu crier les survivants… J’en ai encore des frissons. Le dernier a été sorti le mercredi.

Avec les grues qui sont arrivées plus tard, nous pouvions passer des chaînes pour soulever les dalles de béton et sortir les corps de nos camarades. Nous avons terminé d’évacuer les corps de nos frères d’armes le jeudi midi. Entre-temps, Mitterrand est venu sur place avec le ministre de la Défense. Les victimes étaient dans leur grande majorité des appelés, mis à part les officiers et sous-officiers.

  1. d. V. Quels sont les souvenirs qui vous ont le plus marqué ?
  2. P. Lorsque le bâtiment a été entièrement évacué, il restait un cône d’environ 7 à 9 mètres de profondeur. Dans mon souvenir, la dernière personne que nous en avons sortie était la femme du concierge du bâtiment, son mari était parti faire des courses, elle tenait encore son bébé dans les bras. Nous avions déjà évacué les 58 corps de nos camarades à la Résidence des Pins, à l’état-major de la force française.
  3. d. V. Quel peut être l’état psychologique de ceux qui ont assisté à un tel drame ?
  4. P. Nous sommes tous rentrés très fatigués et atteints moralement. Mais pas seulement à cause de nos 58 morts : au mois de décembre, nous avons subi un second attentat causé par un camion piégé qui a explosé à quelques centaines de mètres de notre position. C’était le 3e RPIMa qui était visé. L’onde de choc est arrivée chez nous au point que les fenêtres de notre bâtiment ont alors volé en éclats. Il y a eu beaucoup de morts individuels, pendant ce séjour. C’était vraiment dur. Et puis ces cris des gars restés sous les décombres du Drakkar restent gravés dans ma mémoire.
  5. d. V. Avez-vous gardé des contacts avec les survivants ?
  6. P. J’ai encore des contacts avec eux. Certains d’entre eux vont bien. Mais d’autres ne s’en sont jamais remis. À l’époque, l’armée ne reconnaissait pas le stress post-traumatique. Le militaire touché par ce syndrome devait, à l’époque, le gérer seul, ce qui pouvait entraîner de vrais problèmes dans sa vie privée ou familiale.

[Le stress post-traumatique n’a réellement été pris en compte, officiellement, par l’armée qu’en 2013, NDLR.]

  1. d. V. Qu’ont signifié, pour vous, les récentes éliminations des chefs du Hezbollah, Hassan Nasrallah et Fouad Chokr, considérés comme commanditaires de l’attentat du Drakkar ?
  2. P. Juste une remarque concernant les chefs du Hezbollah : quel âge avaient ces deux hommes lors de l’attentat du Drakkar ? Maintenant, si ces deux hommes sont les commanditaires de cet attentat, merci à Tsahal.

[Hassan Nasrallah est né le 31 août 1960, il avait donc 23 ans en 1983. Si on en croit sa notice Wikipédia, il a accédé au commandement du Hezbollah en 1992. Fouad Chokr, né le 15 avril 1961, était âgé de 22 ans lors de l’attentat du Drakkar. Il aurait été une des principales figures du Hezbollah dès sa création dans les années 80 (notice Wikipédia), NDLR.]

Le Drakkar devait être vengé, donc, plus tard, lorsque des Étendard ont décollé d’un porte-avions pour bombarder un camp terroriste, camp en réalité évacué avant l’attaque. Au bilan, ils ont tué trois chèvres et leur gardien. Tout le monde était parti, car prévenu à l’avance.

[La riposte officielle de la France se limitera au bombardement aérien, le 17 novembre 1983, d’une caserne occupée à Baalbek, dans la plaine de la Bekaa, par les gardiens de la révolution islamique et le Hezbollah, NDLR.]

Le Liban, ça a toujours été compliqué. C’est un pays qui est en grand danger, pris en étau entre la Syrie, qui veut l’annexer pour avoir un accès à la mer, et Israël. Plus tard, en 1986, lors d’un autre de mes séjours au sein de la FINUL, un soldat de ma compagnie a été victime d’une roadside bomb alors que nous faisions un footing autour de notre position. Un attentat qui aurait pu être évité, car certains Libanais étaient informés de ce qui nous attendait.

En principe, les Casques bleus sont là pour ramener la paix. La mission est particulièrement difficile à réaliser, on le voit encore aujourd’hui. On n’a jamais eu le droit de tirer pour se défendre, nous descendions dans les abris lorsque les tirs étaient trop proches. Il est vrai que la mission de l’ONU est de maintenir la paix…..

En cette veille de commémoration de l’attentat du Drakkar, une pensée pour nos frères d’armes. Que saint Michel veille sur eux !

Témoignage du Père LALLEMAND

Il y a 41 ans, le 23 octobre 1983, avait lieu le terrible attentat du Drakkar au Liban. 58 parachutistes français perdirent la vie. Le témoignage exceptionnel du père Yannick Lallemand, présent sur les lieux lors de cet attentat alors qu’il était aumônier militaire au 1er régiment de chasseurs parachutistes (1er RCP). Âgé aujourd’hui de 87 ans, le père Lallemand, issu d’une famille de militaires, fut ordonné prêtre en 1963 et devint aumônier militaire en 1970. Il servit dans plusieurs régiments prestigieux, notamment au 2e régiment étranger de parachutistes (2e REP). C’est à ce titre qu’il sauta sur Kolwezi, en 1978, avec l’un de ses frères qui commandait une compagnie. En 1987, il quitta l’armée durant dix ans pour exercer son sacerdoce au Tchad auprès des populations locales, puis revint à l’aumônerie militaire pour servir au sein de la Légion étrangère jusqu’à son départ à la retraite en 2018. Insignes honneurs, il est fait, en 2018, « légionnaire d’honneur » et, en 2023, il porte la main en bois du capitaine Danjou lors de la cérémonie commémorative du combat de Camerone. Enfin, cette année, il a été élevé à la dignité de grand officier de la Légion d’honneur. C’est donc une grande figure de nos armées, et plus particulièrement de la Légion étrangère, qui livre aujourd’hui ses souvenirs, 41 ans après l’attentat de Drakkar.

Depuis mon enfance, je connais bien cette phrase de l’Évangile : « Celui qui veut suivre le Christ doit aussi accepter de passer par la souffrance et de porter la Croix. » Cette Croix, depuis 41 ans, je la porte avec moi : ce sont mes 58 parachutistes morts pour la France au Liban, dans ce lâche et horrible attentat du poste Drakkar.

J’avais connu la guerre, des missions délicates comme celle de sauter sur l’ennemi, à Kolwezi, dans l’ex-Zaïre, avec 700 légionnaires : j’avais atterri sur un cadavre, le médecin m’avait confié le soin de nos cinq tués, j’étais au milieu des blessés… mais j’ai été aussi le témoin de ce que peut être le cœur des hommes, en voyant ces dizaines et dizaines de cadavres, à moitié mangés par les chiens… ce cœur capable d’autant d’atrocités !

Cinq ans plus tard, je suis à Beyrouth, remplaçant un jeune aumônier pour raison de santé. 2.000 jeunes parachutistes sont là, la France répondant à l’appel pressant du président Amine Gemayel : en effet, le pays vit, depuis huit ans, une grave guerre civile, il a besoin d’être aidé pour reconstruire la paix entre les diverses communautés, les différentes religions, les sensibilités opposées, car proches de pays étrangers qui sont loin de s’entendre !

Nous sommes là depuis un mois : l’ambiance à l’égard des petits Français se détériore : ils font trop bien leur travail, présents dans tous les quartiers de la ville, patrouillant jour et nuit ; ils empêchent les forces du mal de continuer leurs trafics, leur corruption, leurs profits de cette guerre civile…

Le dimanche 23 octobre 1983, à 6h05 du matin, une double explosion réveille la capitale : la première contre les Américains (241 tués), la seconde, trois minutes après, l’attentat contre le poste Drakkar. J’arrive aussitôt avec le général : c’est la désolation… le brouillard, quelques flammèches, l’odeur de gravats, le silence devant ce tas de débris d’un bâtiment de huit étages… Voilà ma croix… implacable, inarrêtable, jusque dans l’Éternité de Dieu !

Quel sentiment d’impuissance ! Ils sont là, en dessous, mes « petits » paras, avec leurs cadres… nous avions sauté ensemble, lors de leur brevet à Pau, nous avions marché dans les Landes, dans les Pyrénées, couru l’habituel semi-marathon du régiment.

Avant notre départ, nous avions avancé la fête de saint Michel, patron des parachutistes : avec eux, nous avions chanté la prière du para : « Mon Dieu, donne-moi la tourmente, la souffrance… donne-moi l’ardeur au combat, la force et le courage. » Armés de nos petites pelles, nous réussirons à extraire des plaques de béton douze camarades plus ou moins blessés, mais ils sont là ! Les autres appellent, ils souffrent… Que leur dire, je suis leur aumônier, je suis la seule voix qu’ils connaissent ! Ce que je vis ne s’apprend pas au séminaire : je demande à l’Esprit de conseil de m’éclairer ! Je ne peux me résoudre à leur dire la vérité : que la plupart vont mourir ! Alors j’essaie de les rassurer, de les encourager : « Nous sommes là, on est avec vous, les secours arrivent, tenez bon ! C’est moi, le padre, je reste avec vous… »

Oui, pendant quatre jours et quatre nuits, je reste près d’eux, dormant par terre à proximité, priant et pleurant mes « gamins ».

Le cinquième jour, les gros engins sont arrivés, j’ai revu les corps de mes jeunes sans vie, défigurés… eux qui n’étaient que sourires et joie de vivre ! La croix, quelle tristesse !

Les cercueils furent rassemblés sous une tente, j’étais à proximité : chaque nuit, je me relevais pour rejoindre mes « petits » paras, relisant leur prénom en pleurant, les revoyant pleins de vie avec leurs camarades. Ce fut leur départ pour la France. Comme à chaque enterrement, l’ultime parole était la mienne, celle du prêtre : parole de reconnaissance, parole d’espérance. « Ce que vous avez fait aux plus petits d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait ! »

Je ne les ai pas accompagnés, je suis resté sur cette terre bénie, foulée par les pas de Jésus ; la mission n’était pas terminée !

Depuis quarante ans, les familles, les blessés, les rescapés se rassemblent pour une journée du souvenir afin d’honorer ces parachutistes morts pour la France, leur dire notre MERCI pour ce sang versé, pour prier pour eux autour de la tombe de l’un ou l’autre : il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis, les Libanais en ce moment… et pour les autres !

La vie continue, la foi nous aide à avancer, à être des semeurs de paix, des « soldats de la paix » comme l’ont été ces 72 parachutistes et 2 marins qui nous ont quittés au cours de ces quatre mois de mission.

C’est à Anglet, cette année, qu’a lieu notre journée du souvenir et de prières.

 

Père Yannick Lallemand

Ancien aumônier militaire

Exécution de Fouad Choukr, cerveau des attentats du Drakkar

Une pensée pour mon camarade Guy OSPITAL tué à  Beyrouth.

La bête est morte ! Ce que Mitterrand et ses ministres de gauche n’ont jamais voulu faire, les israéliens l’ont fait pour nous. Merci à eux.

La surface de la terre est un peu plus propre aujourd’hui.

Fouad Choukr, numéro trois du Hezbollah libanais, a été abattu ce 31 juillet par une frappe israélienne en plein cœur de Beyrouth. Israël est habitué aux incursions en territoire libanais pour atteindre ses objectifs. Cette frappe, qui viole la souveraineté de l’espace aérien libanais, est donc anormale d’un point de vue légal (genre CEDH), mais n’est pas une surprise. Si l’on ajoute à cela l’exécution d’Ismail Haniyeh, chef du Hamas, sur le territoire iranien, alors qu’il assistait à l’investiture du nouveau président, on peut se dire que la semaine est plutôt faste pour le Mossad, qui rattrape, bien tard toutefois, son manque de réussite dans l’anticipation manquée des attentats du 7 octobre 2023.

Une résonance toute particulière pour les français

Pour nous, Français, la mort de Choukr a une résonance particulière. Cet homme était le cerveau des attentats du Drakkar, qui, en octobre 1983, assassinèrent  lâchement cinquante-huit parachutistes français du 1er RCP, un terrible bilan, heureusement jamais égalé depuis. Ce carnage fut un traumatisme dans une armée largement appuyée sur le service militaire. Le chant « Nos anciens du Liban » leur rendit hommage, ainsi que la chanson de Jean-Pax Méfret « Le béret amarante ». La France de Mitterrand découvrit soudain que la guerre faisait des morts et que les troupes d’élite étaient une caste bien particulière, celle des sacrifiés d’avance, des hommes qui se font gloire d’avoir offert leur vie en gage à l’avance et une fois pour toutes. La gauche avait dû renoncer à proposer la dissolution de la Légion après le triomphe de Kolwezi : avec le Drakkar, elle se décida à des représailles de barbouzes. Deux « opérations de rétorsion » échouèrent : l’une, menée par le service Action de la DGSE, à cause d’un problème technique, l’autre (une frappe aérienne) parce qu’un diplomate français pacifiste du quai d’Orsay avait prévenu l’adversaire. Les années passèrent. Les coupables passèrent entre les gouttes et continuèrent leurs sales besognes.

Tragique selon Mélenchon

Sans qu’il soit évidemment question d’une vengeance aveugle, convenons du fait que la mort de Fouad Choukr n’est  certainement pas une nouvelle tragique, vue de Paris et pour qui connaît un peu l’histoire récente. Pourtant, ça ne semble pas être l’avis de Jean-Luc Mélenchon, l’homme qui ne déçoit jamais, l’immuable boussole qui indique le Sud. Le Che du 93, le Robespierre de salle des profs, s’est même fendu d’un tweet : « Frapper la capitale du Liban est une agression intolérable. Netanyahu propage la guerre, le meurtre et les généralise comme s’il était au-dessus de toutes les lois et conventions internationales. Les puissances, dont les USA et la France qui laissent faire, permettent une escalade qui sera vite hors de contrôle ! »

Oui, on l’a dit, Israël ne respecte rien ni personne quand il s’agit de défendre son peuple. Oui, les occidentaux laissent faire. Mais en la circonstance, l’avocat Gilles-William Goldnadel le rappelle d’ailleurs très bien, la mort de Choukr n’est pas une mauvaise nouvelle pour nous. C’est même tout le contraire.

Il reste maintenant à savoir ce que l’Iran va faire. La théocratie chiite est à la fois le commanditaire du Hezbollah, dont elle a développé l’emprise au sud Liban sur le modèle pasdar (écoles, aide humanitaire, business etc.), et le pays sur le sol duquel Haniyeh, chef du Hamas, est mort, liquidé par les services israéliens. Si l’on en croit ses dernières réactions aux attaques d’Israël contre ses intérêts, « y aura rien » comme disent les jeunes. L’Iran a beaucoup à perdre et n’utilisera probablement pas, en tout cas espérons-le, des armes nucléaires (qu’il n’est d’ailleurs pas censé posséder). Il peut en revanche être intéressant de guetter les réactions de la Turquie et du Qatar, deux pays qui avaient offert leur asile à Haniyeh. La mémoire de Choukr, elle, est déjà perdue.

Mais aujourd’hui, là-haut, 58 âmes de jeunes parachutistes français ont vu leur mort vengée, quarante et un ans plus tard. Ça ennuie peut-être Mélenchon, tant mieux d’ailleurs, mais ce n’est pas rien.

Entretien avec le Général (2s) Jean-Bernard Pinatel.

Article initialement publié dans l’hebdomadaire La Semaine du Pays Basque le 29 mars 2024 et reproduit avec l’aimable autorisation du Général Pinatel.

Quel est vraiment l’état de la Défense française aujourd’hui ?

Il faut tout d’abord commencer par un aspect qui est le point fort et le socle de notre défense depuis sa création : notre force nucléaire stratégique dont la mission est de dissuader tout agresseur potentiel de s’en prendre à nos intérêts vitaux notamment par une attaque directe de notre territoire. Il est important de bien comprendre cela : le risque nucléaire est un risque tellement important qu’il assure pleinement son rôle dissuasif. J’ai personnellement assisté, en tant que chargé de la sécurité des essais nucléaires dans le Pacifique en 1971-73, à cinq tirs aériens d’une puissance à peu près équivalente à Hiroshima. Je peux vous assurer que même à 6 miles du point zéro, l’effet est terrifiant. Et si Poutine, mis en difficulté, utilisait une arme nucléaire sur le champ de bataille la guerre s’arrêterait immédiatement. C’est pour cela que Biden dès le 24 février 2021 a donné à son staff et au Pentagone la consigne suivante : « to ensure that Ukraine was not defeated and that America was not dragged into confrontation with Russia » (1).

On ne peut pas combattre contre des armes nucléaires. Ce sont des armes de destruction massive et leur existence sert à dissuader par la menace qu’on fait peser sur l’adversaire. Le risque nucléaire en Ukraine est supérieur à l’enjeu que représente ce pays pour les Etats-Unis et c’est pour cela que Biden veut éviter toute confrontation directe de l’OTAN avec la Russie.

Mais pour en revenir à ce qu’a dit Emmanuel Macron, on ne peut pas étendre la protection de notre dissuasion nucléaire aux autres pays européens. Qui pourrait croire que si les Russes envahissaient les pays baltes, nous pourrions tirer à l’arme nucléaire sur les armées russes au risque d’une riposte sur Paris ? Les Américains le savent très bien et ils ont très bien compris dès le départ que cette guerre que la Russie mène à ses frontières parce qu’elle estime que ses intérêts vitaux sont menacés, est une guerre sous menace nucléaire et ils font tout pour tenir la tête de l’Ukraine hors de l’eau mais sans inquiéter Poutine. Leur but de guerre n’est pas de battre la Russie mais d’empêcher la création de l’Eurasie qui ferait de cet ensemble la première puissance mondiale

Et en ce qui concerne les forces classiques ?

En ce qui concerne les forces classiques, j’ai écrit un article qui a été publié sur Géopragma(2), qui traitait à la fois de la Bundeswehr et de l’armée française. La commissaire parlementaire aux forces armées, Ava Hölg, après une longue enquête au plus près des corps de troupe dans un rapport comminatoire de 170 pages rendu public en avril 2023, constatait que la Bundeswehr « manque de tout », et que sur les 100 milliards promis par le chancelier Olaf Scholz dès le 27 février 2022, « pas un centime n’est encore arrivé à nos soldats ». Le tableau qu’elle trace de la condition militaire et de l’état des forces est accablant. Selon la commissaire « ce ne sont pas 100 milliards d’euros mais 300 milliards dont a besoin la Bundeswehr pour devenir pleinement opérationnelle. Nous n’avons pas assez de chars pour pouvoir nous entraîner, il nous manque aussi des navires et des avions. »

A la suite de ce rapport j’ai publié le 20 mars 2023 sur le site de GEOPRAGMA une analyse intitulée « La Bundeswehr manque de tout et l’armée française n’a qu’un peu de tout ».

Nous avons un encadrement de qualité, mais le gros problème de notre armée, c’est le nombre. Et on a pris conscience avec la guerre en Ukraine que le nombre est la clé de la victoire. Nous avons théoriquement 200 chars, c’est moins de 10% de ce qu’aligne la Russie. Nous avons très peu de canons, nous n’avons presque plus de munitions parce que nous en avons beaucoup donné.

Nous avons une bonne armée. Mais elle n’est absolument pas prête pour participer à la guerre de haute intensité en Ukraine. Nous avons 7 brigades organisées en deux divisions mais seulement deux sont au standard ukrainien. Nous sommes donc capables d’engager 2 brigades soit au maximum 10 000 hommes suffisamment équipées pour faire bonne figure. Rappelons-nous que l’Ukraine a engagé vingt brigades dans sa contre-offensive de l’été 2022 sans parvenir à entamer les lignes de défense russes.

On va pouvoir à titre dissuasif déployer des troupes en Moldavie ou dans les pays baltes. Mais sur le champ de bataille ukrainien nos alliés ne nous le permettent pas.

Faire du « en même temps » n’est pas possible dans le domaine de la sécurité européenne car la France fait partie de l’OTAN. Nos soldats sont perçus par la Russie comme des forces de l’OTAN. Vladimir Poutine a clairement dit que si la Russie devait se confronter à l’OTAN, ce serait la guerre nucléaire. C’est pour ça que Joe Biden et Olaf Scholz ont réagi immédiatement aux propos de Macron et affirmé qu’il n’était pas question d’envoyer des troupes au sol en Ukraine et que c’était une décision prise au sein de l’OTAN, c’est-à-dire à Washington.

Je me demande pourquoi Emmanuel Macron fait tout cela. Il y perd le peu de crédibilité internationale qui lui restait. La France en intégrant l’OTAN savait qu’elle perdait toute autonomie stratégique, c’est pour cela que, de De Gaulle à Jacques Chirac, la France tout en restant membre de l’Alliance Atlantique ne faisait pas partie de l’organisation militaire intégrée (3). Il y a probablement des raisons électoralistes liées aux élections européennes de façon à apparaître comme le plus européen des Européens.

En vous écoutant, cela voudrait dire que l’armée française est plus une armée d’opérations spéciales comme on a pu voir en Afrique qu’une armée faite pour des projections avec des opérations terrestres ?

On a réduit tellement le budget des armées depuis1991 qu’on a effectivement privilégié cette approche.

Il faut d’abord comprendre que la France a une position stratégique très différente des autres pays européens. Nous sommes à la fois une puissance maritime avec 5 000 kilomètres de côtes, 12 millions et demi de kilomètres carrés de zones économiques exclusives avec nos territoires d’outre-mer. Nous sommes une puissance maritime comme la Grande-Bretagne et les États-Unis. La Grande-Bretagne n’a d’ailleurs pratiquement plus d’armées de terre après les réductions. Elle a une marine et une aviation, mais elle n’a plus d’armée de terre.

Et nous sommes en même temps une puissance continentale comme l’Allemagne et la Russie. Nous devons donc maintenir un équilibre entre toutes nos forces aériennes, terrestres et navales, tout cela avec un budget amputé de 30% consacré aux forces nucléaires stratégiques. C’est pour cela que nous avons une armée « d’échantillons ». Nous avons un problème considérable : celui du nombre. Nous avons tout mais en petit nombre. Et nous avons un problème de nombre de nos personnels. L’armée de terre, c’est en gros 100 000 hommes mais nous n’avons pas 100 000 hommes sur les rangs parce qu’on n’arrive pas à maintenir les gens après un deuxième contrat. La condition militaire n’a pas été assez revalorisée. Il y a eu des efforts qui ont été faits mais par rapport à ce qu’on envisageait de faire avec François Fillon dont j’ai été le coordinateur Défense pour la campagne présidentielle de 2017,  on n’a pas fait ce qui était nécessaire ! Pour les sous-officiers et les hommes du rang, on n’arrive pas à les maintenir assez longtemps. Tous nos régiments sont en sous-effectifs, sauf les forces spéciales qui n’ont aucun problème à recruter. Pour le reste, j’ai rencontré un officier du régiment blindé de Mourmelon qui me disait qu’il leur manquait un escadron. Il y a des chars qui sont dans le garage parce qu’on n’a pas les hommes pour les équiper ! Nous avons une bonne armée au niveau des valeurs, alors que la Bundeswehr n’existe pas. Il n’y a plus d’officiers allemands capables de faire la guerre, ils n’ont plus entendu un coup de feu depuis 78 ans. Nous, au moins, nos officiers ont entendu tirer des coups de feu en opération. On a pu les sélectionner en fonction de la façon dont ils se comportaient en zone d’insécurité.

En Espagne, Pedro Sánchez a remis l’idée d’éventuellement réintroduire le service militaire. Est-ce que c’est quelque chose qui pourrait être envisageable en France ?

Tout est envisageable mais une classe d’âge aujourd’hui, hommes et femmes – car il n’est pas question de faire un service militaire seulement pour les hommes dans un pays aussi féministe que le nôtre – c’est 800 000 personnes alors qu’on a vendu toutes les casernes. On n’a ni les officiers ni les sous-officiers pour les encadrer. Et pour former un officier, il faut déjà trois ans à Saint-Cyr, puis après pour qu’il puisse encadrer, deux ans d’entraînement. Il faut cinq ans pour un officier chef de section. Pour un capitaine, il faut dix ans. Pour vous donner un exemple, dans ma promotion de Saint-Cyr (1958-60) le premier bataillon, c’était 375 officiers au moment de l’Algérie. Aujourd’hui, il y a moins de 100 officiers qui sortent de Saint-Cyr. C’est donc bien beau de réintroduire le service militaire mais comment encadrer les appelés ?

On pousse au maximum ce qu’on peut faire avec des réserves et on essaie de mobiliser 50 000 hommes en plus à partir de réservistes qui font des périodes de réserve et qui sont relativement entraînés dans les différents régiments. Cela fonctionne, mais à un niveau qui n’a rien à voir avec une classe d’âge qui pourrait faire le service national. Pour réintroduire le service militaire, il faudrait une remontée en puissance sur dix ans parce qu’il faudrait recréer les infrastructures et l’encadrement. Et il faudrait dépenser des dizaines de milliards d’euros.

Vous avez commencé à l’aborder, il y a la question du matériel et des munitions qui ont été données en partie à l’Ukraine. Il faut donc aussi reconstituer des stocks. C’est un budget mais c’est aussi une opportunité économique pour l’industrie de l’armement…

Tout le problème pour nos industries d’armement, ce n’est pas tant de créer les matériels que de gérer tout l’aspect logistique et les stocks de matériels et de munitions. Nous n’avons plus de stocks. À la différence des Russes et, en partie, des Américains, nous sommes passés à la notion de « flux tendu » car maintenir du matériel et des munitions en stock, cela entraine des coûts d’immobilisation et de fonctionnement. Nous n’avons plus cette compétence. On a liquidé pratiquement tous les personnels de la Direction générale de l’armement qui s’occupaient des stocks. Donc là encore, si on voulait remonter en puissance et avoir des stocks, il faudrait récupérer des locaux, engager du personnel, etc. D’une façon générale, la montée en puissance ne peut être que lente. Et puis les industriels aujourd’hui sont pour la plupart des industriels privés et ils ont leurs propres impératifs. Prenez Dassault, s’ils doivent passer à trois avions par mois, ils doivent créer une nouvelle ligne de production. C’est un investissement considérable. Si on veut créer de nouvelles lignes de production pour produire des obus de 155, il faut soit les payer ou que l’Etat s’engage à long terme (10 ans) pour permettre aux industriels d’amortir cet investissement. C’est pour ça que Thierry Breton avait promis de l’argent de l’Europe à Nexter pour que l’entreprise développe ses capacités de production. Et puis il faut trouver les sous-traitants. Par exemple, on a un grand problème parce qu’on ne trouve pas assez de poudre. On a voulu tirer tellement les bénéfices de la fin de la guerre froide qu’on a des secteurs de vulnérabilité tout à fait considérables. Les problèmes de la remontée en puissance se posent chez nous comme aux États-Unis. Dans mon livre (4) qui va sortir, je raconte le problème des moteurs de fusée américains. Ils n’ont plus que deux sociétés qui en produisent, l’une a connu un incendie en 2023. Ils n’arrivent même plus à fournir la marine à tel point que l’amiral qui commande les forces navales américaines a dit : « Je n’ai plus assez de missiles mer-mer pour soutenir une guerre contre la Chine. » Tout ce que les Américains ont donné à l’Ukraine comme missiles anti-aériens ou missiles anti-chars, il faudra cinq, sept ou huit ans pour reconstituer les stocks. Ça ne se fait pas sur un coup de sifflet.

Des investissements pourraient bénéficier à l’industrie militaire au Pays Basque ?

Tout effort de guerre bénéficie à l’industrie et aux sous-traitants de l’industrie militaire, c’est évident. Mais pour le moment, on parle beaucoup, mais rien n’a été fait. On n’a pas du tout changé ce qui était prévu en 2017 dans la loi de programmation 2017-2022, qui prévoyait plus de 3 milliards de plus par an à partir de 2023. Pour changer vraiment et faire une remontée en puissance rapide, il faudrait rajouter 5 milliards d’euros par an. 3 milliards, c’est déjà bien, mais on a déjà tellement de retard dans tous les domaines comme en maintenance technique opérationnelle. Les rapports de l’Assemblée indiquaient qu’on avait seulement 60 % des matériels de l’armée de terre qui étaient opérationnels, 70 % des bâtiments de la marine, 80 % des avions de l’armée de l’air, parce qu’il manquait des pièces de rechange, etc.

On a un effort financier considérable à faire, mais qui n’est pas fait ! 3 milliards d’euros par an, ce n’est absolument pas suffisant si on voulait effectivement, comme le dit Emmanuel Macron, engager 20 000 ou 30 000 hommes sur le front de l’Est. Nous ne sommes absolument pas prêts. J’en reviens à cette idée d’armée d’échantillons. Cela ne veut pas dire que nos échantillons ne sont pas de grande qualité, je pense notamment à nos cadres. J’ai toujours des contacts avec des officiers et des sous-officiers de différentes armées. Il y a des gens de grande qualité ! Mais depuis 30 ans, ils n’ont pas les moyens pour être prêts pour une guerre de haute intensité. Et ça ne va pas s’améliorer en deux ans ! La majorité de nos blindés ne sont pas faits pour une guerre de haute intensité. Ils sont conçus pour aller combattre les rebelles au Tchad. Nous avons un besoin de remonter en puissance, mais ça prendra dix ans. Il ne faut pas se faire d’illusion ! Et il ne suffit pas de parler, il faut que cela soit suivi d’actes et d’investissements !

Le premier RPIMa de Bayonne est un régiment qui fait partie des forces spéciales. Comment est-ce qu’il pourrait être mobilisé ?

Les forces spéciales sont faites pour des missions spéciales ! Ce sont soit des missions de renseignement, soit des régiments de « coups de poing ». D’ailleurs, les Russes utilisent aujourd’hui des forces spéciales pour avancer. Ils frappent un secteur massivement avec de l’artillerie, des drones, des bombes planantes et ils envoient ensuite leurs forces spéciales pour réduire ceux qui restent valides dans les tranchées. Ce sont des gens particulièrement entraînés, qui sont mieux équipés et qui savent prendre plus de risques. Ça a toujours existé : il y avait des corps francs dans les tranchées en 1914.

L’autorité. Un exemple français.

Une réflexion de Bruno CARPENTIER : ce n’est pas plus compliqué que cela …..

https://www.legion-etrangere.com/mdl/page.php?id=891&titre=L-autorite.-Un-exemple-francais.

La guerre en Ukraine est-elle la nôtre ?

Alors que la guerre déclenchée par la Russie se prolonge en Ukraine, les Français s’interrogent sur leur place dans ce conflit. Pour la trouver, encore faut-il identifier les objectifs poursuivis par la Russie, au-delà de son narratif de guerre, et les conséquences pour la France et l’Europe.

Pourquoi Vladimir Poutine a-t-il ordonné l’invasion de l’Ukraine ? La fable d’une intervention justifiée par les menées hostiles du « juif-nazi » Zélensky contre la seconde puissance nucléaire du monde, trois fois plus peuplée et mieux armée ne mérite pas qu’on s’y attarde. Peut-on dire avec plus de raison que l’OTAN aurait menacé la Russie en s’étendant vers l’Est, en dépit des engagements pris par les Américains ? Les archives témoignent effectivement de certains échanges verbaux sur le sujet, portant principalement sur la RDA ; la réunification allemande et la dissolution de l’URSS les ont rendus caducs. En revanche, la signature russe figure bien au bas du mémorandum de Budapest qui garantissait les frontières de l’Ukraine en contrepartie de son renoncement aux armes nucléaires stationnées sur son sol. Les Russes qui font si allègrement fi de leurs engagements officiels semblent bien soucieux d’une parole en l’air.

L’OTAN, une menace pour la Russie ?

Moscou essaie de présenter l’OTAN comme une réplique américaine du défunt pacte de Varsovie et ne semblent pas concevoir pour les Européens d’autre destin que d’être partagés en zones d’influence. Leur argumentaire est révélateur d’une vision de l’Europe en tant qu’espace privilégié pour leur projection de puissance. Or, il y a une différence de nature entre une alliance défensive librement contractée et l’alliance contrainte imposée par un régime totalitaire, qui s’est d’ailleurs dissoute dès que la pression s’est un tant soit peu relâchée. L’OTAN ne s’est pas élargie à la manière de l’empire territorial soviétique mais parce que les pays libérés ont saisi l’opportunité de se garantir d’un réveil impérial à Moscou et une nouvelle Occupation. Ont-ils vraiment eu tort ?

L’Alliance a certes ses défauts et ses limites. Si la réalité des rapports de force rend indispensable l’engagement des Américains, leur poids disproportionné devra à terme être rééquilibré par un engagement accru des Européens. Quoi qu’il en soit, l’OTAN est bien le pilier de la sécurité collective européenne. Le général de Gaulle ne s’y était pas trompé. Sorti du commandement intégré, il n’a jamais remis l’organisation en cause. Considérer, comme le font certains commentateurs, qu’une guerre en Europe n’est pas l’affaire de la France mais des Russes et des Américains reviendrait à intégrer notre vassalité. De Gaulle n’aurait jamais commis cette erreur, qui enfermerait l’Europe dans l’Atlantisme faute d’alternative (même à long terme) et permettrait aux Américains de monnayer leur protectorat à n’importe quel prix ; celui que pourrait fixer Donald Trump, s’il était élu, pour financer la BITD américaine et se réarmer contre la Chine par exemple…

Il se murmure encore que les Américains auraient provoqué les Russes. De fait, ils ont pratiqué l’ennemy building avec une Russie qu’il n’était nul besoin de pousser tant les points de friction étaient nombreux. Puissance terrestre structurellement rivale de la puissance maritime anglo-saxonne, son modèle autoritaire s’oppose à celui des démocraties. Last but not least, la menace russe justifiait l’alignement volontaire d’une Europe désarmée sur Washington.

Les deux pays se sont livrés une guerre d’influence en Ukraine dont la révolution orange de 2004-2005 ou les événements d’Euromaïdan de 2014 ne sont que les péripéties les plus connues. Le modèle consumériste et les méthodes d’ingénierie comportementale américains ont été plus attractifs et efficaces que ceux d’une Russie oligarchique déclinante où l’espérance de vie n’est que de 65 ans pour les hommes.

Le jeu de l’Amérique n’est pas celui que prétendent les Russes. Elle n’a pas agressé ou menacé la Russie et n’en a jamais manifesté l’intention. Elle l’a simplement vaincue dans une partie qui avait pour enjeu la domination du vieux continent. Le Kremlin ne pouvait pas l’accepter et a essayé de compenser par le hard power sa défaite dans le domaine du soft power.

L’Ukraine, une base d’assaut, pas un glacis défensif

 

Il faut dire que l’Asie centrale lui échappe progressivement et demeure de toute manière enclavée. La Chine lui bouche l’Orient. Pour sortir de sa périphérie géopolitique et conserver son statut international, il ne lui reste que l’Europe, dont l’Ukraine est la clef militaire.

Les réactions somme toute modérées de Moscou après l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN montrent bien que les Russes ne se sentent pas menacés par l’Alliance, qui s’est rapprochée de Saint-Pétersbourg et avec laquelle elle partage désormais 1000 kilomètres de frontière au Nord du lac Ladoga. Elle avait peur d’un rapprochement de l’Ukraine avec l’OTAN, mais pas pour sa sécurité : parce qu’il aurait verrouillé ses capacités d’expansion vers l’Ouest.

La Russie ne cherche pas un glacis défensif dans les plaines ukrainiennes mais une base de départ qui ferait peser une hypothèque permanente sur l’Europe. À défaut de la séduire, Moscou s’accorderait un droit de regard sur ses affaires en vertu du poids de ses divisions blindées aux frontières de l’UE. A dire vrai, il s’agit probablement du seul moyen pour la Russie de demeurer une grande puissance. Elle joue son avenir géopolitique pour le siècle à venir et le sait. Mais l’Europe, elle, joue sa liberté, sa tranquillité et sa sécurité.

L’Europe et la Russie auraient naturellement tout à gagner à nouer un véritable partenariat. Pour la première fois de son histoire, cette dernière pourrait se concentrer sur le développement de sa population en produisant plus de beurre et moins de canons. Mais son poids dans la relation bilatérale ne serait que celui de son économie. L’image que la Russie se fait d’elle-même n’est pas celle d’une Espagne excentrée mais d’un empire. Elle ne cherche pas un partenariat mais la suzeraineté. C’est pourquoi les appels à la paix sont aujourd’hui vains, puisque Moscou exige la mise sous tutelle de l’Ukraine et la mise en place d’un gouvernement d’occupation à sa botte. Le seul moyen de l’intégrer serait de lui faire perdre absolument tout espoir de remodeler les équilibres à l’Ouest par les armes. C’est-à-dire de contribuer à la refouler hors d’Ukraine et de maintenir ensuite une puissance militaire conventionnelle suffisamment dissuasive pour lui éviter toute tentation, même si l’appui américain devait faire défaut.

Une guerre imposée et non choisie

La guerre en Ukraine n’est pas un accident lointain. Elle annonce d’autres conflits, d’autres défis. Si l’Europe laissait Kiev succomber, elle enverrait un signal de faiblesse au monde entier. Les remises en causes de l’ordre international avec leur cortège de violence se multiplieraient. Le conflit en cours est la matrice de la géopolitique du XXIe siècle.

La France compte dans cette partie. Elle est une puissance nucléaire autonome ; membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU ; second exportateur d’armes au monde, même si elle doit apprendre à produire plus et plus vite ; forte d’une armée reconnue pour ses capacités et son professionnalisme malgré son manque d’épaisseur. Elle compte bien plus que les Français eux-mêmes, facilement sujets à l’auto-dérision, ne le croient. Elle pèse également parce qu’elle n’est pas seule mais qu’elle est une puissance motrice au sein de son réseau d’alliances. Les Russes ne la ciblent pas pour rien. Ils n’ont d’ailleurs pas attendu d’envahir l’Ukraine pour monter des manœuvres d’intoxication et de désinformation qui ont mis en péril la vie de ses soldats et de ses ressortissants en Afrique. Neutraliser les forces morales et la volonté de résister de la France, c’est étouffer celles de l’Europe.

Quand viendra l’heure, peut-être les Ukrainiens trouveront-ils des compromis avec les Russes, c’est leur affaire. La nôtre est de fixer nos propres intérêts. La guerre nous a déjà rattrapés et nous est imposée sous différentes formes. Guerre de l’information, guerre économique, guerre industrielle. Même sans affrontement direct, la dialectique des volontés est engagée. Afficher ses limites, ses peurs et ses hésitations, c’est encourager l’adversaire à pousser ses pions. Les lignes rouges ne peuvent pas être posées en termes de moyens mais de situation géopolitique. Aucun responsable français ne songe à envoyer marsouins et légionnaires prendre une seconde fois Sébastopol. En revanche, l’indépendance de la nation ukrainienne n’est pas négociable, la mer Noire ne saurait devenir un lac russe et il serait inacceptable que tout le flanc Est de l’Union Européenne se trouve à portée des canons du Kremlin.

Cette guerre doit mettre un terme à l’expansionnisme russe sous peine d’annoncer d’autres conflits plus meurtriers encore. Pour cela, l’Europe doit se réarmer moralement et développer ses capacités militaires propres, à la fois pour parler au plus pressé et pour préparer l’avenir. Sa sécurité ne devra plus dépendre des états d’âme d’électeurs du Wisconsin qui ne savent pas où la placer sur une carte. Le développement de la BITD européenne pourrait d’ailleurs initier simultanément un mouvement de réindustrialisation autour de l’écosystème militaire pour déborder ensuite sur les productions civiles.

Le drame ukrainien ouvre peut-être l’opportunité de sécuriser notre continent, de rééquilibrer la relation transatlantique avec nos alliés américains et de retrouver enfin une Europe maîtresse de son destin qui ne soit plus qu’un simple marché mais un acteur géopolitique majeur, apte à défendre les valeurs comme les intérêts des nations et des citoyens qui la composent. Si nous y parvenons, en donnant aux Ukrainiens une place qu’ils auront gagnée, leurs sacrifices et nos efforts n’auront pas été vains. La guerre coûte cher. La défaite plus encore.

Raphaël CHAUVANCY

Raphaël CHAUVANCY

Raphaël CHAUVANCY est officier supérieur des Troupes de marine. Il est en charge du module « d’intelligence stratégique » de l’École de Guerre Économique (EGE) à Paris. Chercheur associé au CR 451, consacré à la guerre de l’information, et à la chaire Réseaux & innovations de l’université de Versailles – Saint-Quentin, il concentre ses travaux sur les problématiques stratégiques et les nouvelles conflictualités. Il est notamment l’auteur de « Former des cadres pour la guerre économique », « Quand la France était la première puissance du monde » et, dernièrement, « Les nouveaux visages de la guerre » (prix de la Plume et l’Epée). Il s’exprime ici en tant que chercheur et à titre personnel. Il a rejoint l’équipe de THEATRUM BELLI en avril 2021.

Faut-il le retour à la conscription ?

par REVUE CONFLITS

Le déclenchement du conflit russo-ukrainien, l’escalade au Moyen-Orient et les tensions persistantes en mer de Chine ont rappelé aux États européens que la guerre n’avait pas quitté l’histoire. Plusieurs d’entre eux ont ainsi décidé d’enclencher une sérieuse politique de réarmement. L’annonce de la Pologne sur la formation d’une armée de terre de 300 000 hommes et l’intégration des pays scandinaves à l’OTAN en sont les exemples les plus criants. En Suède, l’un des piliers de ce réarmement est le retour de la conscription, une idée qui revient de plus en plus ces dernières années. 

Depuis 2017, Emmanuel Macron a décidé d’augmenter le budget des armées à la suite des rapports alarmants sur l’état des armées françaises, tout en axant ses priorités autour de « l’hypothèse d’un engagement majeur en Europe ». Il parle depuis le début de son premier quinquennat d’un retour à une forme de service militaire et civique. En effet, le SNU (Service national universel) doit être étendu à l’ensemble d’une classe d’âge en 2026. Cette évolution ne se fait pas sans réticences, du côté politique avec certains partis de tradition antimilitariste qui fustigent un « embrigadement de la jeunesse », et du côté de l’armée elle-même qui estime ne pas posséder les capacités ni les compétences pour encadrer autant de jeunes. 

La question de l’armée de masse

Pourtant, les mobilisations massives de réservistes dans l’ensemble des « points chauds » de la planète appuient le modèle « d’armée de masse ».  L’armée de masse n’est envisageable qu’avec l’appel de conscrits, les difficultés de recrutement des armées occidentales nous le rappellent trop bien. Ainsi, si la France avait pour ambition de jouer à armes égales avec les plus grandes armées du globe, il lui faudrait logiquement rétablir un service militaire. Certains pourraient s’étonner de cette conclusion en arguant qu’une troupe professionnelle et aguerrie ne serait être concurrencé par une troupe d’appelés et peu ou pas expérimentée. L’histoire nous démontre que les armées de conscrits ne sont pas moins valeureuses et n’obtiennent pas moins de résultats que les armées professionnelles. Qui pourrait prétendre que les appelés Ukrainiens n’ont pas plus appris en six mois de guerre conventionnelle que les armées occidentales engagées au Moyen-Orient ou en Afrique depuis 20 ans ?

Pour autant, si l’idée fait son chemin en France, il faut questionner sa faisabilité.

La République française est une habituée de ce système qu’elle a suspendu il y a 30 ans. En effet, c’est en 1798 qu’elle crée pour la première fois, « la conscription universelle et obligatoire ». La loi d’alors dispose que « tout Français est soldat et se doit à la défense de la patrie ». La IIIe République, à l’image de la seconde, remettra en place le « service » car selon les mots de Gambetta : « il soit entendu que quand en France un citoyen est né, il est né soldat ». L’initiative d’Emmanuel Macron s’inscrit donc dans cet héritage en souhaitant instituer « un moment de cohésion visant à recréer le socle d’un creuset républicain et transmettre le gout de l’engagement ».

Ainsi, le service militaire, depuis sa création, porte en France une dimension idéologique en incarnant le devoir du citoyen à servir son pays, et lui donne sa légitimité à s’investir dans les choix de la nation. En effet, comment celui qui met à disposition son sang pour la nation, tels l’hoplite ou le légionnaire romain, ne serait-il pas légitime à participer au destin du pays ? 

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Le service militaire a néanmoins de tout temps provoqué des résistances. Déjà le citoyen romain, habitué à la « pax romana », est devenu ce déserteur que Renaud a chanté. L’idée que les anciennes générations acceptaient naturellement de rentrer sous les drapeaux est une illusion. L’histoire nous enseigne pourtant qu’une menace immédiate est un vecteur de mobilisation puissant. Ainsi, en 1914 et en 1939, la mobilisation générale se réalisa sans heurt. Le sentiment d’appartenir à une nation et la nécessité de défendre sa terre face à un ennemi clairement identifié sont donc les deux piliers permettant la mise en place d’une conscription. 

Pas de conscription sans commun ni appartenance à la nation

Le service militaire demande à la population d’adhérer à un socle de valeurs communes, d’aspirer à un futur commun et de reconnaître les autres habitants du pays comme son semblable. Si les populations des « deux France » du XIXe siècle affichaient une nette fracture intellectuelle, ne fréquentaient pas les mêmes écoles et étaient incarnées par des partis opposés, elles n’en étaient pas moins soudées par un socle familial et culturel commun. L’armée française imposait néanmoins un cadre particulièrement strict et des unités régionalisées pour contrer les éventuels effets de bord de cette fracture. 

La France opte pour un modèle de citoyen-soldat à compter de la IIIe république et met alors en œuvre une politique d’éducation axée sur le développement de jeunes républicains patriotes. Le citoyen français réalise son devoir en réalisant son service, ce qui lui donne la jouissance légitime de ses futurs droits. L’école de l’époque sous la houlette des « hussards noirs de la république » est réputée pour sa stricte discipline, le développement du sentiment national et le culte de la Revanche qui doit permettre de retrouver l’Alsace et la Moselle. L’instruction publique fournit à l’armée française de jeunes citoyens, habitués à un cadre et attachés sinon habitués aux valeurs en vigueur dans l’armée. Ce service militaire, alors soutenu par l’ensemble de la population, et le certificat de bonne conduite qu’il délivrait, constituait un véritable passeport pour trouver un honnête travail par la suite. L’ensemble de la classe politique de l’époque, au même titre que la population française en général, valorisait largement les atouts du service militaire. On retrouve ce modèle en Israël qui trouve une partie de son élite dans sa jeunesse passée par les forces spéciales lors des trois années du service militaire. 

Changements sociaux

La construction sociale en France est désormais bien différente. La relation hiérarchique « maître-élève » est devenue une relation de presque égalité « apprenant-enseignant ». Surtout, le règne de l’individualité et la fracture sociale si bien décrite par Jérôme Fourquet dans L’Archipel français détruisent la reconnaissance du commun. 

L’armée française connaît déjà les problèmes qui en résultent avec les jeunes recrues pourtant sincèrement volontaires et motivées. Ce qu’elle appelle le « choc de la militarité » provoque un nombre de départ important lors des formations initiales. L’armée s’autorise ainsi un taux de départ de 20% dans les premiers mois d’engagement. Si ceux qui ont librement rejoint ses rangs connaissent souvent des difficultés d’adaptations, on peut imaginer combien ce choc sur une population contrainte sera important et complexe à gérer. 

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La défense des frontières, moteur de la mobilisation

L’engagement dont ont fait preuve les volontaires de la Première Guerre, puis les appelés de 1939, ceux de la guerre en Algérie, de l’Indochine, et les conscrits des armées sur fond de menace soviétique n’a pas été motivé par autre chose que la défense des frontières intérieures et extérieures. Il faut donc s’interroger à propos de la frontière que nous avons à défendre aujourd’hui. 

Après 2015, les attentats du Bataclan ont suscité la volonté d’engagement des jeunes comme rarement en Europe. De même, aux États-Unis, de nombreux Américains se sont engagés à la suite des attentats du 11 septembre 2001. Pourtant, aujourd’hui, alors que « la guerre est revenue en Europe », les armées occidentales connaissent de grandes difficultés de recrutement et de fidélisation dans leurs rangs. La crise de l’engagement que subissent l’ensemble des armées européennes montre que l’invasion de l’Ukraine par la Russie n’est pas ressentie comme une menace aux frontières, à l’inverse des attaques djihadistes. L’impopularité des récentes déclarations du président de la République sur l’envoi de troupes en Ukraine renforce le constat. Le contexte actuel ne se prête donc pas à la réussite d’un service militaire en France. 

Le rétablissement du service militaire ne peut donc être une décision de principe, liée à une nostalgie d’une époque révolue. Il ne doit pas non plus être vu comme un outil permettant de mixer les classes sociales et de « faire France ». L’armée est d’abord et avant tout constituée pour défendre un territoire, des intérêts et une population. Si rien ne menace ces trois catégories, un gouvernement ne peut aujourd’hui demander un tel investissement à son service.

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