Samedi 17 avril 1954
Situation générale :
Après la prise d’ « Huguette » 6, Giap concentre ses efforts sur « Huguette » 1 et « Epervier »
L’axe d’attaque viêt semble être l’entonnoir formé par la piste d’aviation et la rivière Nam Youm et, au fond de cet entonnoir, le 8ème Choc sur « Épervier ». Le mur repéré les jours précédents par la 1ère compagnie du « 8 » soulève des interrogations.
Le capitaine Tourret propose alors de créer un nouveau point de résistance à hauteur « d’ « Huguette » 1 pour couvrir le flanc nord de « Huguette » 1 et pour éloigner, le cas échéant, les tentatives commandos sur le PC central. La proposition est approuvée par le commandement. Le nouveau PA prendra le nom d’« Opéra » (voir carte page précédente) sur proposition d’un lieutenant parce que, dit-il : « L’opéra est un endroit vivant et gai où l’on rencontre des gens de qualité ». Ses chefs ont le sens de l’humour, la proposition est adoptée.
Situation au 8ème Choc
Le 17 avril, la 1″ compagnie du capitaine de Salins, renforcée par des éléments du 2′ BEP, quitte « Épervier », prend la piste d’aviation et se rabat sur les tranchées viêts. Le combat est confus. L’artillerie viêt s’en mêle. En début d’après-midi, la 1″ compagnie se retire mais les pionniers du lieutenant Fleury en ont profité pour déminer un passage dans le drain, encombré depuis peu par des barbelés, des débris et des mines viêts.
C’est par ce passage que dans la nuit, le capitaine Tourret, avec la « 3 » du capitaine Bailly, renforcée d’une compagnie du 5° BPVN, se rend sur l’emplacement de ce qui va devenir « Opéra ». Auparavant, l’artillerie a traité le terrain.
Etat des pertes
Les pertes au « 8 » sont faibles malgré l’artillerie. Le17 avril, le 1″ classe N’GUYEN VAN CHEN et le parachutiste BUI DUC PHA sont tués.
8 hommes sont blessés dont deux sous-officiers.
Témoignage du lieutenant J. Racca, chef de section à la 1ère compagnie
… « La « 1ère » a pris en charge les tranchées et le blockhaus qui avaient été construits par le RTA, qu’elle a renforcés et qui, pour la plupart, tiendront bon jusqu’à la fin des combats. Cette position avait été baptisée « Dominique » 4 avant de devenir « Epervier ».
Le dispositif de la compagnie y est le suivant :
- en première ligne ma section (la 2ème ) et, plus près de la rivière, la section de l’adjudant Berne;
- en retrait : le PC du commandant de compagnie (de Salins) et la 1″ section (Bonelli).
Devant nous, un réseau de barbelés très profond et une zone minée. À gauche (ouest), la piste d’atterrissage est à une centaine de mètres : elle est bordée par un « drain » large et profond d’un mètre cinquante dans lequel mines et barbelés ont été mis en place, en abondance, de façon telle que ni les Viêts ni nous, ne pouvons l’emprunter.
Pour l’essentiel, notre préoccupation est tournée vers le nord, entre la piste d’atterrissage et la rivière. Là, sur un terrain très « bahuté », nous procédons à des reconnaissances où nous débusquons, presque quotidiennement, quelques petits éléments viêts. C’est là, entre autres, que se révèle, mon adjoint, le sergent-chef Boucly : toujours en avant, nous signalant la présence ennemie et participant largement à l’enveloppement de ces équipes qui sont obligées de se replier rapidement sous les feux de nos fusils-mitrailleurs. Au total, Boucly, entre le mois de mars et la première quinzaine d’avril, est blessé à trois reprises.
De ce fait, il est absent lors de notre intervention la plus lourde, dite « Opéra », le 17 avril (voir carte page précédente). Au nord de notre position, à quelques centaines de mètres de nos lignes, les Viêts sont de plus en plus nombreux dans ce secteur où, de nuit, ils creusent des tranchées entre leurs lignes et la piste d’atterrissage. Sans qu’on sache où ils veulent en venir, il y a là un danger permanent pour une infiltration de nuit vers le centre du dispositif ami.
L’opération est confiée à notre compagnie, renforcée par des éléments du BEP. Le 17 avril, au petit matin, nous retrouvons en bordure de la piste d’atterrissage, le capitaine de Salins, son PC et la section Bonelli. Pour ce qui concerne Berne et moi-même, il nous est demandé aussitôt de nous emparer de la tranchée viêt à quatre cents ou cinq cents mètres plus loin. L’adjudant Berne part en premier, je le suis aussitôt sur la piste d’atterrissage, seul itinéraire possible puisque le drain est rempli de barbelés et de mines.
C’est une véritable course folle, accélérée par l’artillerie viêt qui se régale tandis que les blessés jalonnent rapidement notre itinéraire. Et, en ce qui me concerne (ma Ba-Racca ! !) je passe entre les gouttes tandis que mon radio tombe derrière moi, atteint par un éclat d’obus au moment où j’allais sauter dans la tranchée viêt. Je récupère sa radio et je le fais évacuer par deux de mes hommes (il meurt dans l’après-midi à l’hôpital de campagne …). La concentration des tirs viêts vise manifestement à contrôler le point de rencontre de leur tranchée et de la piste d’atterrissage. Je saute dans le drain, je retrouve Berne tandis que les Viêts se replient. Nous nous engageons plus avant dans la tranchée. Dans le drain, nous apercevons des éléments du Génie qui avancent vers nous, péniblement, en détruisant les barbelés et en neutralisant les mines, ce qui est, entre autres, l’un des buts de l’opération.
Petit à petit, les renforts du BEP nous rejoignent, toujours par la piste d’atterrissage. Ils passent maintenant devant nous tandis que les Viêts n’ont pas à modifier la hausse de leurs armes pour faire des ravages dans les tranchées, d’autant qu’ils tirent pratiquement en enfilade alors que nos canons, eux, sont disposés de façon telle que la trajectoire de leurs obus est perpendiculaire à la tranchée viêt, donc moins performante.
Nous sommes en début d’après-midi ; la pression viêt s’accroît pour se transformer en contre-attaque ; on se bat à la grenade ; nos troupes refluent et vient le moment où je prends ma radio et règle, via mon PC de compagnie, les tirs de notre artillerie. Mais, même dans ces conditions, il est difficile de taper exactement sur les tranchées viêts en avant de nous, compte tenu de leur étroitesse. Nos gens qui débouchent dans le drain sont serrés comme on peut l’être dans le métro parisien.
Cette opération de jour, par beau temps, me coûte plus de la moitié de ma section. Toutefois, lorsque nous nous retirons, le drain, parallèle à la piste, a été dégagé de ses barbelés et d’une bonne partie de ses mines. La nuit venue, au prix de nouvelles pertes, la « 3 » du capitaine Bailly réussit à récupérer la tranchée viêt avec sa compagnie et les gens du Génie.
Cette tranchée ne sera plus occupée mais la fin de Diên Biên Phu n’est plus qu’une affaire de jours. Sur la quarantaine d’hommes que j’ai eue entre les mains, dont les renforts de parachutistes volontaires, ma section ne compte plus qu’une quinzaine de combattants valides… ».
1953 M. Phan Huy Quat, Mindef remet la médaille du Mérite militaire vietnamien à l’adjudant Berne Jean du 8° BPC après Hirondelle
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