Bataille de Diên Biên Phu

Journée du 5 avril 1954

Lundi 5 avril 1954

Situation générale :

Le 4 à 18 h 15, un violent tir d’artillerie s’est abattu sur « Huguette » 6 ; tous comprennent qu’il précède un assaut massif. Cinq bataillons viêts vont attaquer deux compagnies incomplètes. Le 8° Choc est à nouveau sollicité.

Situation au 8ème Choc :

Cette fois, c’est au tour de la « 3 » du lieutenant Bailly. Comme pour la « 4 », deux chars se joignent à la compagnie.

Au départ de la « 3 », les Viêts occupent la moitié de « H6 ». Cette fois, ils ont pris leurs précautions pour éviter de se faire surprendre comme ils l’ont été la veille par la « 4 ». Ils bombardent systématiquement la piste d’aviation.

Sergent BERNOT. Il finira son carrière, général de gendarmerie !

Les éléments de tête de la « 3 » partent dans la nuit et butent assez rapidement sur les bo-doïs; la compagnie avance prudemment.

Finalement, elle se regroupe en bout de piste, au bord du drain. Le harcèlement continue et, au moment où il va donner l’ordre à sa section de bondir en avant, le sergent-chef Antoine Papalia reçoit un éclat de grenade à fusil qui lui pénètre dans le crâne, au-dessus de l’œil. Il reste cependant assez lucide pour passer le commandement au sergent Bernot.

Le lieutenant Bailly ordonne à ce dernier et au sergent-chef Matthy de pénétrer dans « H6 » avec sa section, le reste de la compagnie restant à l’extérieur avec le DLO et les chars pour empêcher les Viêts de renforcer ceux des leurs qui tiennent déjà les trois-quarts de la position.

Un éclat d’obus se plante dans la cuisse du sergent Bernot ; il le retire à la main, la blessure est superficielle. Les deux sections font jonction avec les légionnaires.

Le sergent Legarrec est gravement blessé lui aussi : une balle dans le ventre et un éclat dans le coude.

Sur la position, le combat sature l’espace. Une mitrailleuse Reibell de la Légion perd trois tireurs successifs en quelques secondes, mais les gars du lieutenant Bailly sont arrivés à temps sur la position.

La partie sud-ouest du PA n’est plus tenue que par quelques hommes harassés et épuisés ; quelques-uns, choqués, sont immobiles, sans réaction au fond de leur trou.

Cependant, si la « 3 » tape sur les Viêts, ceux-ci ne sont pas en reste pour taper sur la « 3 ». Un char est touché au bazooka, mais les contre-attaques des soldats de Giap sont contenues par les appuis, surtout les 12,7 quadruples. Les pertes de la « 3 » sont alarmantes.

Le caporal Aimé Trocme est avec le sergent-chef Martial Leblanc. Celui-ci est fauché à ses pieds.

 

Le combat se stabilise ; « H6 » est provisoirement sauvé, mais la « 3 » n’a plus de potentiel pour reprendre le PA. Une compagnie du « 6 » est envoyée en renfort et entre sur « H6 » puis, au petit matin, une autre compagnie arrive. À 10 heures, ce 5 avril, la « 3 » du 8° Choc est relevée.

Etat des pertes :

11 tués : sergent-chef LEBLANC, caporal THONNECRIEUX, parachutistes GUENOT, AMMENA, MARTIN, DERLOIS, MATTEUCCI, TROMBETTA, N’GUYEN VAN TOI, N’GUYEN VAN THAI, N’GUYEN VAN THAT

29 blessés dont 1 officier et 4 sous-officiers

  Sergent-chef Martial LEBLANC, chef de la 2ème section de la « 3 ». Ayant succédé au Lieutenant GARROUTEIGT, tué sur « Dominique » 2, il meurt à son tour sur « Huguette » 6.

Sergent-chef MATHY de la 3ème compagnie. Il mourra en captivité.

Témoignage de N. ISSERT de la 3ème compagnie

« Je suis à côté du sergent Legarrec mon chef de groupe. La chicane du poste est matraquée pour nous empêcher de passer. Afin de rentrer dans le poste presque entièrement aux mains des Viêts, nous nous tassons dans un caniveau près de la chicane, ce qui nous met un peu à l’abri de l’artillerie.

Puis, l’un après l’autre, nous effectuons un bond pour franchir la chicane et tomber dans la tranchée du poste. Au moment où j’exécute mon saut, les obus tombent tellement qu’un copain, le coiffeur du bataillon, fait le bond avec moi accroché au ceinturon. Je suis tellement contracté que je ne le sens même pas.

Par contre, le caporal Martin, juste après nous, à la même place, n’a pas de chance ; un éclat lui sectionne les deux bras au moment où il se relève. Nous le recevons dans nos bras, car il passait la chicane debout. Les deux membres arrachés, il est mort le matin… ».

Témoignage du sergent BERNOT :

« Nous prenons position dans une tranchée assez profonde, les Viêts sont à quelques mètres. Les tirs adverses aux mortiers et aux SKZ sont nombreux. Nous utilisons surtout les grenades, l’attente va être longue. »

Témoignage de C. GALICHET :

.… « A certains moments, on pourrait croire le jour revenu tellement l’éclairage des lucioles est dense. Un claquement, je regarde mon chef, le sergent-chef Martial Leblanc qui baisse la tête. C’est terminé pour lui. Je crois qu’il allait ou venait de se fiancer. Je me souviens aussi d’un jeune, comme moi, dix-neuf ans et demi qui s’est levé et a pris une balle en pleine poitrine. Je l’ai vu mettre ses mains sur sa blessure d’où le sang coulait abondamment malgré la pression qu’il exerçait. Il n’a pas pu parler et il s’est agenouillé doucement avec un regard de plus en plus flou. Pour lui aussi c’était fini… ».

 

 

Parachutiste Raymond LE BRENN de la 3° compagnie

Le 5 avril, Le Brenn ramène sur son dos un camarade blessé. Soudain, il est projeté par la violente explosion d’un obus de 105 et roule sans connaissance dans un fossé. Reprenant ses esprits, il essaye de comprendre ce qui s’est passé. En se relevant péniblement, il doit se rendre à l’évidence : son bras droit n’est plus qu’une infâme bouillie où seulement quelques lambeaux de chair retiennent le poignet.

Voyant son camarade coupé en deux, il finit par réaliser que ce dernier lui a sauvé la vie en lui servant de bouclier : Après un dernier regard pour son camarade d’infortune, Le Brenn se met à genoux et tente de se relever en chancelant. A l’aide d’un garrot improvisé avec un bout de suspente de parachute, il immobilise ce qui reste de son bras. L’oreille droite perforée, plusieurs éclats dans la poitrine, perdant abondamment son sang, Le Brenn doit parcourir seul 1 800 mètres pour rejoindre l’antenne chirurgicale. Ce retour est un supplice où plusieurs fois il va frôler la mort, sous le feu de l’artillerie viêt. Malgré ses blessures et ses souffrances, il rassemble toute son énergie et fait appel à tout son tempérament pour se traîner jusqu’au but qu’il s’est fixé.

 

Il atteint cette antenne ayant épuisé ses forces. Le jour même, le médecin-commandant Grauwin l’opère en amputant son bras droit à l’épaule. Il termine la bataille avec les blessés, mais se rend utile comme il peut. Il oublie ses souffrances pour aider les plus malheureux que lui.

À la chute du camp, il est emmené et va marcher quatre jours à travers la brousse, son moignon rongé par les vers. Cent fois il va fléchir et cent fois il va se redresser. Il ira jusqu’au bout, sans se plaindre. Ses qualités de breton entêté sont intactes ; c’est sa bataille personnelle et il va la gagner.

Pendant vingt jours il est « soigné » par le Viêt-minh et, le 28 mai, il fait partie des mutilés libérés. Il entre à l’hôpital Lanessan de Hanoï.

Sergent MONCHOTTE blessé lors de la reprise « d’Huguette » 6 :

En pleine nuit, on lui donne des hommes, légionnaires, tirailleurs et des paras largués la veille ; il ne voit pas les visages, il fait simplement le compte et prend la direction « d’Huguette » 6, au bout de la piste d’aviation. Sur place, c’est la mêlée furieuse en pleine obscurité. Soudain, un Viêt, dépassé par les Français, leur tire dans le dos. Monchotte prend la rafale dans les reins et s’effondre. Il est bien touché, mais les balles, freinées par ses équipements et sa musette, ont pénétré sans léser d’organes vitaux, mais il ne le sait pas.

Légionnaires et tirailleurs le laissent sur place. Quatre paras restent avec lui spontanément pour le protéger. « Les gars, leur dit-il, passez-moi un paquet de pansements et allez-vous-en, on a besoin de vous là-bas ». Il tombe alors dans une semi-inconscience, mais les quatre paras ne se résolvent pas à le laisser. Ils restent. À l’aube, les infirmiers parcourent le terrain jonché de corps. Monchotte est évacué sur l’antenne. Quelque temps après, il recherchera ces quatre ombres pour voir leur visage, les remercier de ne pas l’avoir abandonné. Il n’a jamais su qui ils étaient, car tous sont morts sur « Huguette » 6, à jamais inconnus dans leur tombe de boue d’où personne ne viendra jamais les tirer. Jusqu’à sa mort, l’adjudant-chef Monchotte recherchera ces quatre ombres dans ses cauchemars.

Avenue du lieutenant Jacques Desplats

81108 Castres Cedex