Bataille de Diên Biên Phu

Journée du 2 avril 1954

Vendredi 2 avril 1954

Situation générale :

Dans la nuit du 1″ au 2 avril, une compagnie du II/1″ RCP parvient à sauter ; il faudra attendre celle du 3 au 4 pour que le bataillon soit complet. Hanoï l’envoie bien tard pour la bataille des cinq collines.

Sur les « Eliane » :

La bataille pour « Éliane » 2, n’est pas terminée. GIAP, comme un métronome, envoie ses bataillons à l’abattoir pour conquérir le point d’appui. Ils sortent de leurs tranchées d’approche, traversent les « Champs-Élysées » sous le balayage frénétique des « 12,7 » quadruplées et les obus venus « d’Isabelle » et ceux du camp. Les vagues de bo-doïs montent alors vers le sommet « d’Éliane » 2 en perdant des combattants à chaque mètre puis se heurtent aux armes automatiques de ceux qui ne veulent pas partir. De leur côté, les artilleurs des 105 et des 155 font la même chose, submergés de demandes d’appui.

Des renforts de tous les bataillons sont envoyés, un peu en désordre. C’est presque une petite humanité qui se bat sur ce relief bouleversé : des Français, des Marocains, des Thaïs, des Vietnamiens, des Cambodgiens, des Allemands et bien d’autres. Il faut alimenter ce coin de terre infernal, car les Français ne peuvent pas se permettre de le perdre sans tout perdre. « Éliane » 2 s’est transformée depuis des heures interminables en champ de morts où les vivants à demi enterrés se battent à un contre vingt avec une énergie inhumaine. Sur ce terrain vague constamment soulevé en geysers par les obus, criblé de mille ferrailles, les hommes s’accrochent à leur trou de boue en s’abritant derrière les cadavres. Les armes traînent partout et l’on prend les munitions des tués. Chacun se bat de son côté, il n’y a pas de manœuvre possible. Toutes les bouches à feu viêts crachent tout ce qu’elles peuvent, même lorsque leurs propres troupes montent à la boucherie. L’issue du combat appartient aux actes individuels ; on ne regarde que devant soi. Les blessés, sans grand espoir d’évacuation, continuent à tirer ou à remplir des chargeurs quand ils le peuvent. Lorsqu’ils n’en peuvent plus, ils meurent en silence dans cette atmosphère assourdissante.

Sur les « Huguette » :

Faute de moyens « Huguette 7 » est abandonné.

Situation du 8ème Choc :

Après avoir été relevés sur « Eliane » 2 par la Légion, les hommes de la « 2 » redescendent sur les positions du « 8 ». Les restes de la compagnie sont ventilés à la « 3 » et à la « 4 », la « 2 » n’existe plus.

Le bataillon continue à envoyer des renforts sur « Eliane » 2 dont des éléments de la CA. Le sergent Pregnon est détaché au BEP pour servir au canon de 57 ; il va rester plusieurs jours avec eux.

Etat des pertes :

Tués : Parachutiste de 1ère classe Joly, parachutiste de 2ème classe N’Guyen Van Duc.

8 blessés

Témoignage du sergent Franceschi de la 2ème compagnie après la dissolution de la « 2 » et son affectation à la « 3 »:

« Nous voilà donc chez le lieutenant Bailly, après deux jours et deux nuits de combat continu, sans repos. Et, au moment où nous ne pensons qu’à nous écrouler dans un trou et dormir, même sans manger, ne tenant sur les nerfs qu’à fortes doses de sachets de Nescafé, on nous fait attendre !

Plusieurs fois, je demande à l’adjudant de compagnie où nous mettre, mais il me dit que le lieutenant Bailly doit décider. Et soudain, un obus tombe tout près, criblant d’éclats le dos du caporal Joly et celui de Granvoinet, tuant un grand costaud d’un éclat au thorax et me blessant, moi aussi.

Joly avait ôté sa veste et faisait un brin de toilette avec l’eau dégueulasse qu’il y avait dans le fond du boyau. Il se rasait pour montrer l’exemple à tous, à l’exception de la moustache, qu’il portait en solidarité avec Carre.

De son dos nu, le sang gicle par des plaies béantes. Je me revois tombant à genou à côté de lui, tentant avec mes doigts de serrer ces plaies pour empêcher le sang de s’échapper en criant : « Appelez un infirmier ! » Mais il est déjà trop tard. On n’a pu que sauver les deux autres provisoirement en les transportant à l’antenne. Après cet incident, j’entrais en furie dans l’abri de Bailly, plein du sang de Joly, les vêtements en lambeaux et fort en colère. »

Lieutenant BAILLY commandant la 3ème compagnie

Témoignage d’A. Trocme:

« L’accrochage est vif entre les deux hommes et le sergent obtient un emplacement pour ses hommes. En allant au PC du bataillon pour obtenir une sanction après cet échange verbal, le lieutenant Bailly apprend du capitaine Lamouliatte que le sergent en question est chef de section et s’est bien battu. Si bien d’ailleurs qu’il est proposé au grade supérieur. Le lieutenant admet alors son erreur et fait meilleur accueil à ce renfort imprévu. La section Franceschi est gardée en réserve et peut enfin se reposer… peu de temps ».

Témoignage du sergent-chef Papalia de la « 2 » :

« Même topo que la veille, nous avons contenu la poussée viêt jusqu’au petit jour et au matin, furieuse contre-attaque contre les salopards. Tout nous a réussi ce jour-là. Il n’est plus question de règlement militaire ; tous les PM en voltige et le strict nécessaire aux cinq FM qui me restent. Pour la compagnie du BEP, la même chose.

 La tranchée centrale « d’Éliane » 2 où je passe à plusieurs reprises fait deux mètres de profondeur. Dans le fond, il y a un mort, dessus un blessé, sur le blessé un autre mort. Il n’y a pas de place où poser le pied sans monter sur un soldat qui nous regarde. Dans la mesure du possible, on lui demande de nous excuser, car c’est en renfort que nous venons. On pouvait admirer les « Champs-Elysées », c’était le 14 juillet à Paris, mais le feu d’artifice se faisait à balles réelles. »

Témoignage de J. Jousset de la CA :

Sur Épervier, les mortiers du « 8 » ont appuyé tous les combats à leur portée.

C’est du même emplacement que les obus de « 81 » ont été tirés pour « Dominique » et « Éliane ». « J’ai tiré, tiré, tout ce que j’ai pu, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’obus. »

Sergent JOUSSET au mortier de 81

Témoignage de B. Fall de la CA :

« Après soixante-douze heures de tirs incessants, les servants sont dans un état voisin de la catalepsie. Même si les artilleurs ont formé quelques fantassins à servir les pièces, on ne peut remplacer les officiers et les sous-officiers qui tombent comme des mouches dans leurs alvéoles à ciel ouvert. »

Le sergent Pregnon de la CA sur « Eliane » 2 :

….Il rampe avec son 57 et un légionnaire blessé comme pourvoyeur. Il rampe dans les boyaux effondrés, barrés de cadavres et de débris. Autour de lui, les chuintements d’obus, le claquement des balles, le bruit, les cris. Il pleut de la terre et des morceaux d’hommes. Les positions françaises sont noyées de feu, de boue et de sang. Des cadavres innombrables, nauséabonds, couvrent les pentes « d’Eliane » 2. Dans cette nuit dantesque où l’on ne s’entend pas hurler, tout est confusion, bousculade. La terre tremble sous le choc des salves de 105. Le sergent tirera tous ses obus et puis il ramassera une arme sur un Viêt et videra chargeur sur chargeur. À côté de lui, d’autres, dans la nuit zébrée de traçantes et d’éclairants, font la même chose et battent de leur feu un thalweg dans lequel les Viêts tentent de s’engouffrer.

Avenue du lieutenant Jacques Desplats

81108 Castres Cedex