Bataille de Diên Biên Phu

Journée du 1er avril 1954

Jeudi 1er avril 1954

Situation générale :

Les contre-attaques du 31 mars sur « Éliane » 1 et « Dominique » 2 n’ont pas abouti. En effet, si ces positions ont été réoccupées à un moment donné, il n’y avait aucun renfort possible pour les tenir. Le Viêt est maintenant en masse sur « Dominique » 2 et « Éliane » 1 où il organise le terrain malgré les tirs de notre artillerie.

Le renfort attendu était le II/1″ RCP en provenance de Hanoï, mais Hanoï ne l’a pas envoyé le 31. Le PC GONO le savait par message depuis 12 h 50 mais il a quand même lancé les contre-attaques du « 6 » et du « 8 » vouées à l’échec. C’est ce jour-là que la bataille de Diên Biên Phu a été perdue, avec l’abandon de « Dominique » 2, mais personne ne le savait encore…

Sur les « Eliane » :

Après plus d’une dizaine d’heures de combat furieux au cours desquelles les Viêts lancent assauts sur assauts, les défenseurs « d’Éliane » 2 sont sur le point de succomber

Sur les « Huguette » :

Au jour naissant, avec quatre-vingt-dix hommes, le capitaine Bizard donne l’assaut et bouscule des centaines de bo-doïs restés sur « Huguette » 7 ; c’est la panique. Ils détalent pour aller s’empêtrer dans les barbelés où les attendent les obus de 155 sur un tir préréglé. « Huguette » 7 est sauvé à 5 h 50. Le lieutenant-colonel Langlais est étonné, lui qui n’avait confiance ni dans le BPVN ni en ce capitaine de cavalerie. Il fait relever la compagnie pour qu’elle se repose un peu. La Légion s’installe sur « H7 » qui n’est plus un point d’appui organisé, mais une masse de terrain constellée de trous d’obus. Le 1″ avril à 22 heures, le régiment 36 part à l’assaut contre cette compagnie qui se défend furieusement. À 4 heures du matin, tout semble fini, mais une contre-attaque, menée par le capitaine Bizard avec une centaine d’hommes et trois chars, dégage les survivants. Il est parti de « Huguette » 1 » pour passer à « Huguette » 6 avant de se lancer sur « Huguette » 7. Sur le Point d’appui, il n’y a plus qu’une dizaine d’hommes valides.

Situation du 8ème Choc :

Le 8° Choc a bien la « 4 » et une partie de la « 1″ » mais la compagnie du lieutenant Desmons n’est pas sur place. Après le repli de « Dominique » 2, les éléments de la 1ère compagnie et de la 3ème compagnie ont reçu l’ordre de rentrer sur « Épervier » pendant que ce qui reste de la « 2 » a retrouvé quelques instants ses abris « d’Éliane » 10.

La « 2 » désormais commandée par le capitaine Lamouliatte a reçu l’ordre dans la nuit de renforcer « Eliane » 2 avec quelques hommes de la « 3 ». Elle se bat furieusement au prix de lourdes pertes jusqu’à la mi-journée du 1er avril pour empêcher l’ennemi de reprendre la crète. Elle est enfin relevée par la Légion vers midi.

Etat des pertes :

Tués : sergent Pelchat, caporal-chef Weisshaupt, parachutistes Chu Van Nam, Hoang Van Ke, Le Dinh Chut, Hoang Van Trong, Pasquario, Blasco, David, Atman, Perenney et Mandrand.

43 hommes sont blessés dont six sous-officiers.

Une fois encore, la « 2 » repart à l’assaut

Témoignage du sergent Franceschi de la 2ème compagnie :

« La nuit est complètement tombée. Les lucioles éclairent notre progression et font se découper en une masse dantesque la colline « Éliane » 2 dont le sommet est tout embrasé par les explosions d’obus et par les rafales des armes. Ces dernières, opposées par leurs origines, montrent distinctement où sont les défenseurs et les assaillants, ce que les états-majors baptisent la ligne de feu ! Très vite nous prenons notre place, il était temps !

Nous nous sommes battus pour tenir la crête, jusqu’à la mi-journée du 1″ avril, là où se trouvait l’ancien poste en maçonnerie qui n’était plus qu’un tas de ruines ! C’est ce même tas de ruines que j’ai livré à un grand diable de la Légion venu nous relever vers 14 heures ; il se tient debout, ostensiblement au sommet pendant que je lui montre ce que nous avons pu repérer des positions viêts. Je lui fais remarquer qu’il ne va pas tarder à se faire canarder, qu’à cet emplacement même, Renaud mon meilleur tireur FM, vient de prendre une balle dans la tête, rien n’y fait ! Il me dit simplement : « Comme ça, ils vont bien voir que la Légion est là ! » Je me dis qu’il y a un Dieu pour les imbéciles, tout en admirant son courage superbe, car il fait installer ses hommes comme s’il était au champ de manœuvre ; à moins qu’il n’ait deviné que du côté des Viêts, il y a une pause !

Un char, portant le nom prédestiné de Bazeilles, est venu s’embosser dans la soirée auprès des ruines de l’ancien poste et, immobilisé par un coup de bazooka, a servi toute la nuit de base de feu et nous sert de symbole : il faut tenir autour de lui !

Je ne sais pas comment nous avons fait, combien de fois les Viêts nous ont pressés, presque submergés, mais indomptables, la « 2 » tient ! Jamais ailleurs, je n’ai vu autant de cadavres, les leurs et les nôtres emmêlés, les leurs infiniment plus nombreux.

Certains parmi nous servent deux pistolets-mitrailleurs à la fois, un dans chaque main, vidant chargeur sur chargeur qu’un camarade blessé aux jambes recharge sans arrêt jusqu’à ce que l’assaut ennemi stoppe ou bien qu’une rafale ou une grenade les fasse taire ! À côté de moi, le petit Perreney se fait hacher alors qu’il se redresse pour vider les deux PM qu’on vient de lui tendre. Nous avions été brevetés ensemble à Meucon et depuis, nous avons fait le chemin côte à côte. À Lang Son, j’avais pu lui obtenir une citation dont il était très fier ; il en aurait mérité une par jour sinon davantage depuis une semaine !

Il est presque incroyable de constater combien le courage et l’héroïsme sont contagieux. Il y a du sublime dans l’action de ces garçons : la France, l’armée, se doivent de leur attribuer cette phrase que Clémenceau dédiait aux poilus de 14 : « Ils ont des droits sur nous ! »

Depuis la mort de notre infirmier, le caporal-chef Schimitt, la nuit précédente, nous n’avons plus d’infirmier de compagnie. Si le PC nous a détaché un capitaine pour nous commander, pour cette dernière bataille pas d’infirmier ! Il faut dire qu’il est difficile d’en distraire de leurs unités, tous ayant de l’ouvrage !

Au matin, devant nos pertes effarantes, le capitaine Lamouliatte demande devant moi une fois de plus des renforts en précisant : « Nous ne sommes plus qu’une poignée à pouvoir nous battre. Au prochain assaut, les Viêts risquent de nous submerger et ils seront alors rapidement sur vous ! » Dans un premier temps, on nous pousse seulement le sergent Pregnon avec les mitrailleuses de la compagnie d’appui qui furent très utiles et, vers midi, c’est l’arrivée de la Légion, enfin ! »

 Témoignage du médecin H. Premillieu, médecin du 1/4 RTM

« C’est dans les ruines « d’Éliane » 2 que je pratique ma première amputation de cuisse. À même le sol. Sur prière expresse de la victime, un parachutiste dont la jambe vient d’être broyée par un obus de 105. Il sent la vie filer au rythme de ses hémorragies. De fait, je dois intervenir vite. Curieusement, il paraît ne pas souffrir. Il me parle avec une étonnante lucidité. Je n’ai qu’un peu de novocaïne pour infiltrer les gros nerfs sciatiques et apaiser la douleur, autant dire pas grand-chose. Alors je me presse. Procédant à la désarticulation avec un bistouri et des ciseaux, ligaturant les artères au fil de lin, deux fois par vaisseau, découpant large la peau, les muscles souillés, « jusqu’à obtenir une plaie belle et saignante » disaient nos manuels ; ce que nous appelons un parage, mais je me suis gardé de suturer ensuite. Pansements compressifs, antibiotiques de couverture, morphine encore. Puis évacuation sur brancard vers l’antenne. Au chirurgien de parachever le travail avec une meilleure asepsie, inexistante dans mon poste provisoire. »

L’aviation a été très active pendant toute la bataille, appuyant les unités de son mieux, mais fortement gênée par une DCA nombreuse et, pour la plupart, éloignée de ses bases, n’ayant ainsi qu’une demi-heure d’autonomie sur zone.

Les pilotes du porte-avions Arromanches sont les préférés, car ils peuvent rester plus longtemps et ont la réputation de prendre davantage de risques. Ils ont eu beaucoup de pertes : six pilotes sur quinze et ceux qui sont tombés aux mains des Viêts ont été l’objet de nombreux sévices.

Témoignage du sergent Graffte de la 3ème compagnie :

« Ce 1″ avril, vers minuit, un caporal vietnamien vient me réveiller pour que j’aille assurer mon tour de permanence au PC de la « 3 ». Nous sortons de la tranchée, tout est calme et nous nous dirigeons vers le PC. Soudain un obus de mortier de 60 vient atterrir à côté de nous. Le caporal est tué et moi je récolte une quinzaine d’éclats dans la cuisse, le bras, le poumon gauche et deux dans le ventre.

Je me dirige alors vers l’antenne où le docteur Grauwin, après m’avoir ausculté rapidement, dit à son infirmier : « Fais-lui une piqûre de morphine et s’il est encore vivant demain matin, il est sauvé ».

En effet, le lendemain, je rejoins le sergent Legrain dans son abri.

Ces deux éclats qui m’ont tant fait souffrir vont s’éliminer par voies naturelles. Je garde encore les autres. »

Avenue du lieutenant Jacques Desplats

81108 Castres Cedex