Bataille de Diên Biên Phu

Journée du 30 mars 1954

Mardi 30 mars 1954

Situation générale :

Sur les « Dominique » :

Mardi 30 mars, la pluie tombe sans arrêt, la terre est devenue gluante et collante. Sur « Dominique » 1, les Algériens vont être relevés par la 4 compagnie du 5′ BPVN lorsque l’artillerie viêt se déchaîne ; il est 18 heures. Quarante-cinq minutes plus tard, l’assaut viêt est lancé en masse. « Dominique » 1 et 2 ne tiennent pas longtemps ; les Algériens se débandent et décrochent. La compagnie du BPVN arrive pour la relève ; elle ne peut contenir le reflux et les Viêts arrivent, sans vraiment attendre l’arrêt de leur tir d’appui.

Sur « Dominique » 1, le combat entre les parachutistes et le régiment de bo-doïs va encore durer deux heures et à 21 h 50, la position est perdue.

Sur « Dominique » 2, c’est encore plus rapide. Par groupes, les Algériens descendent vers la rivière, certains pour aller se terrer et ne plus reparaître, d’autres pour rejoindre la première unité venue. Mais sur la colline, tout le monde n’est pas parti et quelques-uns se battent encore, désespérément, jusqu’à épuisement des munitions ou jusqu’à la mort.

Sur « Dominique » 3, une compagnie de tirailleurs algériens traumatisés par la fuite de leurs camarades attend ainsi que la 4° batterie du 11° groupe du 4° RAC avec le lieutenant Brunbrouck. Il fait nuit, « Dominique » 1 et 2 sont tombés. L’officier scrute la nuit. Les Algériens vont tenir, car ils sont bien encadrés et ils ont la rivière dans le dos. Partout ailleurs, sur les « Eliane » en particulier, les combats font rage. Vers 22 h 15, devant la batterie, des silhouettes s’avancent en désordre, personne ne tire, ce sont des amis. Une dizaine de tirailleurs et de parachutistes du BPVN, presque tous blessés, menés par un sergent européen complètement défiguré, ont échappé aux Viêts.

Brunbrouck les envoie sur l’antenne, mais, à peine est-il revenu vers ses canons, qu’une mitraillade dense se déclenche. Deux régiments viêts en masse compacte, sans leur habituelle préparation d’artillerie, débouchent par la RP41. Le lieutenant réagit en une seconde : il fait mettre ses pièces à zéro et ouvre le feu, les fusées réglées au minimum. C’est un carnage effroyable : les obus éclatent contre les poitrines des bo-doïs massés au coude à coude. Des tranchées sanglantes entaillent ce bloc humain de plusieurs centaines de soldats.

Situation sur Dominique.

Lieutenant BRUNBROUCK de l’Artillerie coloniale. Il sera tué le 12 avril 1954.

Lorsque l’artillerie de Giap se déclenche, les « Éliane » sont matraquées autant que les « Dominique ». La nouvelle tactique de Giap consiste à traiter plusieurs objectifs à la fois.

« Eliane » 1 est tenu par deux compagnies du 1/4° RTM.

« Éliane » 2 abrite le PC du bataillon, deux compagnies de tirailleurs et, depuis la fin de l’après-midi, le PA est renforcé de la 1″ compagnie du 1″ BEP.

« Eliane » 3, comme « Éliane » 10, sont plutôt des bases arrières de parachutage ; la « 2 » du 8° Choc est sur « Eliane » 10.

« Eliane » 4 est occupé par ce qui reste du 5° BPVN et le 6ème BPC.

 

Dans les secondes qui suivent la préparation d’artillerie, c’est l’assaut en bloc au cri de : Xung Phong ! (À l’assaut).

« Eliane » 1 ne tient que deux heures et les Marocains refluent en désordre.

Sur « Eliane » 4, position du 5° BPVN et du 6ª BPC, l’orage d’artillerie a été sérieux, mais l’infanterie viêt qui descend « d’Eliane » 1 derrière les Marocains affolés ne parvient pas à inquiéter la position.

Sur « Éliane» 2, c’est une autre histoire; légionnaires et Marocains font corps et se défendent comme des lions contre un régiment complet. C’est le chaos le plus total, les hommes se fusillent à bout portant, des vagues entières de soldats viêts sont fauchés par les armes automatiques pendant que les obus pleuvent sur la position, tirés depuis le mont Fictif et le mont Chauve, truffés de casemates d’armes lourdes.

Notre artillerie et nos mortiers appuient au plus près et poursuivent les vagues d’assaut qui se retirent. Après cinq heures de combat épuisant, les Viêts reculent jusqu’à leur base de départ, il est 23 heures. Les lucioles descendent lentement, pendues à leurs parachutes et éclairent un monde de désolation et de tuerie. Des centaines de corps jonchent les pentes est obstruant les tranchées. Dans l’immobilité de cet instant de répit, on ne distingue plus les vivants des morts.

Le régiment 98 de la division 316 s’est regroupé. L’artillerie reprend son matraquage, plus violent encore puis s’arrête ; c’est à nouveau l’assaut, la marée verte. Cette fois-ci, les positions françaises sont dépassées, tout le monde est mêlé, ça tire dans tous les sens, légionnaires et tirailleurs tiennent encore disséminés par petits groupes dans les tranchées effondrées et les abris disloqués ; c’est du combat en de multiples résistances isolées. Deux fois, l’avant-garde viêt parvient au sommet d’ « Éliane » 2, deux fois elle est rejetée. L’air est saturé de fumée, de cris, de bruits, d’explosions et de râles insupportables et, dans la lueur vacillante des lucioles, entre le fracas des armes, on voit des hommes dépenaillés, sales, boueux dont la plupart sont en short et chemisette, le dos courbé par le poids d’une caisse de munitions, ravitailler les défenseurs qui vident chargeurs sur chargeurs. Ce sont les aviateurs des appareils détruits, pilotes, navigateurs, mécaniciens, météos et autres « basiers »; tous se sont constitués en compagnie de « coolies » pour aider à l’effort surhumain des hommes « d’Eliane » 2.

C’est un carnage de part et d’autre. Un instant la décision vacille, les défenseurs doutent, vont-ils se lasser ? Un instant seulement, car une accalmie s’installe quelques secondes : un flottement chez les Viêts et l’euphorie chez les défenseurs. Deux compagnies parachutistes arrivent à la rescousse, il était temps : la « 2» du 6° BPC et la « 2» du 1″ BEP, appuyées par deux chars, percutent les Viêts; c’est un corps à corps gigantesque qui se déroule alors sur cette colline sanglante. Au matin, « Éliane » 2 est resté français mais il y a bien peu de valides sur cette terre de souffrance.

Situation Eliane.

Sur les « Huguette » :

Coordonnée avec les attaques de « Dominique » et « d’Éliane », la division 308 part à l’assaut du PA en étoile, « Huguette » 7, ex- « Anne-Marie » 4. La 1ère compagnie du 5° BPVN y est enterrée. Dès la fin de l’après-midi, « Huguette » 7 tressaute sous les coups de 105. Ses défenseurs demandent bien du renfort, mais avec ce qui se passe à l’Est, c’est utopique. Le lieutenant-colonel LANGLAIS leur répond quand même : « Démerdez-vous avec ce que vous avez. Terminé. » Pourtant si « H7 » tombe, la piste d’aviation est directement menacée. Alors, la petite position « d’H7 » va se « démerder » seule. Le capitaine Bizard commande cette compagnie. C’est un cavalier récemment breveté parachutiste, volontaire pour Diên Biên Phu alors qu’il était en France aide de camp du général Ély. Il fait son septième saut le 28 mars. Fraîchement accueilli par le lieutenant-colonel Langlais, il prend aussitôt le chemin du PA en étoile. Le 30 à 21 heures, c’est l’assaut, mais les bo-doïs sont stoppés net par une résistance opiniâtre. Ils le seront toute la nuit.

Situation au 8ème Choc :

Le 8ème Choc est aux postes de combat.

La « CA » et la « 1″ » sont sur leurs positions sur le PA « Epervier » face à « Dominique » 1. La « 3 » et la « 4 » sont en réserve d’intervention.

La « 2 » est sur « Eliane » 10 .

Lorsque les assauts viêt débouchent vers « Dominique » 3, les 12,7 quadruples de la CA, installées de l’autre côté de la rivière, ouvrent le feu à cadence maximale et prennent les Viêts par le flanc. Ceux-ci tombent comme des quilles, cisaillés par les rafales serrées. Les survivants s’éparpillent sous l’orage de plomb et remplissent cette grande tranchée providentielle, rectiligne qui fait face à la position française, s’offrant alors au tir des armes automatiques de la 1″ compagnie. « Le sergent Michel Locoge, le buste complètement hors de la tranchée, sans protection, tire à la mitrailleuse de « 30 » sur les Viêts pris en enfilade. Il ne cesse son action que lorsque son arme portée au rouge refuse tout service.

Dans la tranchée (un ancien drain creusé par les Japonais) les bo-doïs se croient à l’abri, mais ce fossé n’est qu’un piège truffé de charges d’explosifs. Lorsqu’ils y sont tous entassés, un Français connecte les fils à une pile radio. Il n’y a pas d’explosion, simplement un coup sourd, puissant et une onde de choc amortie par les corps. Les soldats de GIAP n’en ressortiront pas. Le caporal Aimé Trocme se souvient de cette orgie de blessés et de cadavres qui jonchaient le sol au bas des collines, le long de la RP41.

Etat des pertes :

Pendant le pilonnage d’artillerie, un obus a tué en même temps les caporaux-chefs Michel Gauthier et Guy Moreau de la 2° compagnie.

3 blessés

Témoignage du sergent Franceschi de la 2ème compagnie sur « Eliane » 10 :

…« Le 30 mars, lorsque, vers 18 heures, le pilonnage viêt commence avec une intensité jamais atteinte et se concentre sur les « Dominique » et les « Eliane », nous comprenons tous le but de la prochaine offensive viêt.

Il fait nuit depuis peu lorsque des clameurs toutes proches nous font craindre une poussée viêt jusque sur nous. Certains se mettent à ouvrir le feu sur des ombres qui progressent vers nous ; le capitaine Pichelin hurle de cesser le feu : ce sont des amis qui se replient ! Peu à peu, le calme revient et plusieurs vieux tirailleurs, anciens de la campagne d’Italie, les larmes aux yeux, viennent nous demander de se battre avec nous, accusant certains de leurs chefs de s’être enfui les premiers.

Toujours est-il qu’ils nous seront précieux le lendemain en nous servant de guides et en combattant avec nous pour partir à la reconquête de « Dominique » 2. »

Témoignage du médecin H. Premillieu médecin du 1/4 RTM sur « Eliane » 2.

« À 17 heures, je suis sur « Éliane » 2. J’entends trois coups de semonce de 105, qu’on a déjà entendus les 13, 14 et 15 mars pour « Béatrice », « Gabrielle » et « Anne-Marie » puis c’est le déluge, une préparation d’artillerie incroyable.

Peu de temps avant, quelques chasseurs bombardiers et des B26 ont arrosé le flanc est de Diên Biên Phu. Les tirs sont bien ajustés. Mon infirmerie est prise pour cible et détruite par un coup de canon SR installé probablement sur le mont Chauve. J’ai le temps de prendre un sac tyrolien de pansements et de médicaments et de filer au PC du bataillon. Le PC est solide, mais tout tremble pendant une heure tandis que le flanc est « d’Eliane » 2 est dévasté. Finis les charges plates, les barbelés, les fûts de napalm et les mitrailleuses qui devaient stopper l’attaque. À 18 heures, le capitaine de la « 2 » nous dit à la radio : « Ils sont dans nos barbelés ». Pas de difficultés pour eux après cet écrasement pour pénétrer dans le PA. À minuit, les Viêts sont sur le toit du PC, mais ils ne connaissent pas l’entrée. Nous les chassons à la grenade tandis que l’artillerie « d’Isabelle » nous bombarde pour les repousser. On peut sortir, les lucioles éclairent comme en plein jour. Il y a de la fumée partout, on gagne la contre-pente et on croise les parachutistes qui pour la première fois attaquent de nuit. C’est une idée de Bigeard, d’habitude les Viêts attaquent la nuit et nous le jour.

J’établis un poste de secours sur cette contre-pente avec une angoisse incroyable : dans une maison en ruine, celle de l’ancien gouverneur de région avec uniquement quatre murs, mais sans toit, ni porte, espérant qu’un obus ne tombe pas au milieu. Ça a marché, ils sont tombés à côté des quatre murs ! Pendant trois jours et deux nuits, nous avons ainsi travaillé sous les bombardements. Au petit matin, au cours d’une accalmie, je retourne dans mon infirmerie dont l’entrée est face au mont Chauve. J’y trouve trois Viêts morts, je récupère mes infirmiers marocains prisonniers dans la nuit. Les bo-doïs leur ont dit : « Attendez là, on reviendra vous chercher ». Je récupère ma cantine trop lourde pour être enlevée par les Viêts et je reviens à mon infirmerie sans toit.

Je compte les morts et les enregistre. Je les fais regrouper dans une fosse commune. Il y a là des tirailleurs, des parachutistes de toutes les unités, reconnaissables à leurs camouflages différents (BEP, 8″ Choc, 6° BPC) et des légionnaires. La bataille reprend jusqu’à l’après-midi du 1″ avril. »

Avenue du lieutenant Jacques Desplats

81108 Castres Cedex