Samedi 27 mars 1954
Situation générale :
Inchangée.
Geneviève de GALARD est convoyeuse de l’air dans les avions sanitaires, toujours volontaire pour les ÉVASAN sur Diên Biên Phu même quand la DCA s’annonce de jour en jour plus menaçante. Le 27 mars, son avion est détruit au sol. En tailleur bleu et souliers plats, elle se présente alors au commandant GRAUWIN et lui dit timidement : « Comme je ne peux plus repartir, je viens me mettre à votre disposition. »
Situation au 8ème Choc :
Remise en condition.
Geneviève de Galard va avoir beaucoup de contact avec le 8′ Choc, elle y est d’ailleurs administrativement prise en compte dans l’effectif rationnaire du bataillon.
Etat des pertes :
3 blessés
L’ANGE DE DIÊN BIÊN PHU
« Au fond, je ne suis pas mécontente que tu sois à Diên Biên Phu, au moins tu ne risques plus d’accident d’avion. » Si l’heure avait été moins sombre, j’aurais éclaté de rire en recevant cette lettre de ma mère parmi le courrier parachuté sur le camp en avril 1954 ». G. de GALARD.
Le commandant GRAUWIN, patron de l’ACM, lui confie un abri où sont allongés dix blessés parmi les plus graves. Il faut faire les pansements, les piqûres, les alimenter, les aider pour leur moindre geste. Il leur manque soit un bras, soit une jambe, parfois les deux ; ou bien leur ventre porte un bout de gros intestin qui saille en boule sur la paroi et laisse sourdre les excréments.
Pendant la chute des obus, il la regarde et il est étonné de son calme. Elle va de blessé en blessé comme si de rien n’était. Elle a le geste qu’il faut, la douceur, la précision, les mots qu’on attend avec sa pure et fraîche voix de jeune fille….
Elle passe des journées harassantes à s’occuper des hommes mutilés, en peu de temps elle a fait le tour de tous les abris, même les plus reculés, son quotidien devient la misère humaine la plus noire. Elle n’a peur de rien, visite tout le monde inlassablement en distribuant tout ce qu’elle récupère, cigarettes, boissons, nourriture.
Geneviève ramasse les maigres restes du repas et dit : « Je vais donner cela au coolie qui a le bras coupé. Il n’y avait pas de riz ce soir ! »
Elle dort sur un brancard, à même le sol, entre deux blessés dans un abri dénué de tout et ne demande rien. Et lorsqu’elle n’a rien à distribuer, elle parle aux hommes et leur apporte cette douce voix féminine qui pour eux s’apparente à celle d’un ange venu les sortir de leur enfer.
En la voyant, les blancs comme les jaunes, les noirs et les Nord-Africains semblent être sortis, pendant quelques minutes, d’un mauvais rêve.
Elle a une formation de convoyeuse de l’air, pas d’infirmière à terre et pourtant son dévouement, son abnégation, sa spontanéité et son courage discret forcent le respect de tous. Un jour, le commandant GRAUWIN constate qu’elle a un anthrax gros comme la main sur l’épaule droite. Il lui propose de l’opérer, mais elle refuse l’anesthésie au Pentothal qui met de longues heures à disparaître. Elle veut être disponible de suite après. Elle est opérée avec une anesthésie locale de fortune, la douleur est forte, mais elle ne se plaint pas. Aussitôt le pansement terminé, elle reprend ses occupations. Elle doit au moins deux fois par jour, changer les pansements de six opérés de l’abdomen qui portent un anus artificiel, ce qui signifie que, douze fois par jour, elle trempe ses fines mains dans des paquets de gaze souillée d’excréments et toujours avec un sourire, une plaisanterie, une taquinerie.
À elle aussi échoue le devoir de renouveler les pansements des amputés, ceux de Heinz qui porte trois moignons à deux bras et une jambe. À cause des souillures importantes survenues lors de sa blessure et de notre asepsie douteuse, la tranche des moignons est grande ouverte. Au début, Heinz est sujet, à chaque pansement, à une véritable crise et reste ensuite de longues heures, assoupi, assommé de douleur. Il faut passer une demi-heure à chaque moignon, décoller très lentement le pansement, faire le nouveau avec minutie, douceur et patience. Seule Geneviève réussit le prodige de ne pas faire hurler Heinz. » …
… « Elle connaît rapidement et mieux que quiconque dans le camp retranché les cheminements compliqués, les chicanes des réseaux de barbelés, les minuscules sentes qui mènent aux moindres réduits où s’entassent les survivants de cette colonie de désespérance.
Geneviève de Galard assure la distribution générale des colis largués et destinés aux blessés puisqu’elle passe partout, sac au dos et casquée, malgré les obus. Elle se fond dans le paysage grâce à sa tenue de combat devenue terreuse. C’est elle aussi qui, lors de ces partages, dispense aux cloîtrés les nouvelles de l’arrière. Les échos de son altruisme, de son dévouement franchissent, grâce à la radio du camp, les limites de la base assiégée devenue une dépendance de l’empire des morts. Ils attirent l’attention des journalistes internationaux qui suivent le déroulement des événements en Indochine.
Ce sont des envoyés spéciaux américains qui inventent le surnom qui collera désormais à la convoyeuse de l’air bloquée dans cette vallée perdue en pays thaï : « L’ange de Diên Biên Phu ». La presse rependra ce surnom, mais pour les hommes du camp retranché, c’est « Geneviève ».
Le lieutenant-colonel LANGLAIS lui fera attribuer la Légion d’honneur « pour services de guerre exceptionnels » et la 13° DBLE à Camerone la nommera légionnaire d’honneur de première classe.
Avenue du lieutenant Jacques Desplats
81108 Castres Cedex