Mercredi 24 mars 1954
Situation générale :
Les « Dominique » commencent à être cernés par les tranchées viêts, formant un réseau tentaculaire qui enserre le camp français. Le capitaine commandant le III/3° RTA occupant cette position s’inquiète et demande une intervention pour obliger les Viêts à reculer.
Situation au 8ème Choc :
Le 8° Choc est chargé de donner de l’air à « Dominique » en nettoyant ses avants. Appuyé par l’artillerie, il attaque par le nord-est.
Témoignages du sergent L.H. LEGRAIN / 3ème compagnie
« …Dès le lever du jour, la 3″ compagnie part en direction de « Dominique » 2 tenu par un bataillon de tirailleurs algériens ; nous traversons le point d’appui et nous allons prendre position sur une ligne de crête en avant, à quelques dizaines de mètres. La compagnie est très étendue ; nous avons le droit à quelques obus de 60. L’un d’eux tombe entre VONVON DUBOIS et moi. On en rigole ! VONVON me dit : « Hé ! LEGRAIN, j’ai pris une épingle dans le cul ! » Et c’était vrai, il avait reçu un petit éclat dans la fesse, ce qui ne l’a pas arrêté, c’est vrai qu’il avait du répondant de ce côté-là, ce cher VONVON.
Nous restons un moment sur cette ligne de crête à essayer d’y voir quelque chose puis le capitaine m’envoie avec ma section en avant et à droite, là où se trouve une longue tranchée rectiligne qui pourrait bien vite être utilisée par les Viêts. Nous nous installons là et nous attendons ; ça canarde à gauche, à droite, vers le PC compagnie. Vers quinze heures cinquante, je reçois l’ordre de me replier et alors là ça devient plus sérieux : on se trouve dans une sorte de thalweg entre « Dominique » 2 et une autre colline. Nous devons nous installer là pour protéger le repli du bataillon. Je répartis ma section dans un dispositif espacé, car les Viêts ne sont pas avares en munitions de tous calibres.
Une mitrailleuse a pris à partie un point de passage entre les barbelés, un pauvre garçon a été touché et dès que quelqu’un tente de s’en approcher, la rafale arrive. Le lieutenant GARROUTEIGT tente lui aussi d’aller chercher ce malheureux ; il s’écroule à son tour.
VONVON, toujours lui, le caporal-chef BELLAMY et moi nous avons tôt fait de nous concerter. Nous essayons de nous en approcher, mais, bon sang, que ça tire bien une mitrailleuse ! Pendant ce temps-là, l’arrosage au mortier est particulièrement copieux. Ça y est, nous l’avons. Il est inerte, mais il vit encore, nous tentons de le porter à nous trois, mais ce n’est pas facile, il est grand et lourd ; de plus, les Viêts nous ont bien repérés.
Finalement, je dis à mes deux camarades de me le charger sur le dos ; ce sera lourd, mais plus facile pour le sortir de là. Je mets un genou à terre, le lieutenant est mis sur mes épaules, il râle, peut-être qu’on lui fait mal ?
VONVON et BELLAMY rejoignent leur section, je m’apprête à me relever et vlan ! Un « 81 » éclate à deux mètres devant moi, j’ai dû faire une voltige, je me retrouve assis par terre, le corps du lieutenant gît auprès de moi, il est méconnaissable et cette fois bien mort. Un de mes « gaulois » qui avait pris ma place dans un trou, quelques instants auparavant, reçoit un obus en plein sur sa musette. Et ça continue à tomber. Je vois passer la 2′ compagnie qui ne flâne pas sur la piste ; mes Vietnamiens commencent à s’inquiéter sérieusement, ils voudraient bien pouvoir se replier, mais ne veulent pas me laisser là.
Je fais le bilan : j’ai la jambe gauche cassée. Comment repartir de là ? Le matraquage continue, mes « gaulois » m’entourent. Je les fais remettre en place et leur donne des ordres pour le repli quand ce sera leur tour.
Il faut repasser les barbelés, les chicanes, finalement je trouve la solution. Je vais me traîner à quatre pattes et un gars derrière moi remettra la jambe cassée dans l’axe. Ça dure un moment, mais ça avance quand même. J’arrive en dehors des barbelés, je retrouve le capitaine BAILLY. Il met sa Jeep à ma disposition pour m’emmener à l’antenne chirurgicale.
Quand c’est fini, quelques-uns de mes braves « gaulois » et des camarades m’emportent dans un de mes abris. Il n’y a plus qu’à attendre l’évacuation sanitaire. »
« Dominique 1 » : 11° compagnie du III/3e RTA, quatre-vingt-dix tirailleurs dont l’encadrement européen est faible.
« Dominique 2 » : 9° et 10° compagnies du III/3e RTA – PC du bataillon – une compagnie de supplétifs (jusqu’au 1er mars) – une section de six mortiers de 81 de la Légion.
« Dominique 3 » : 12° compagnie du III/3e RTA – une batterie de 105 du lieutenant Brunbrouck (4e RAC).
« Dominique 4 » : Créé fin mars, rebaptisé « Epervier » et confié au 8° Choc appuyé par une section de 12,7 quadruplées.
« Dominique 5 » : Une compagnie de Thaïs (repliée le 1er avril).
Avenue du lieutenant Jacques Desplats
81108 Castres Cedex