Samedi 13 mars 1954
Situation générale :
9h00, l’artillerie Viêt se manifeste en prenant à partie le Curtis commando de la compagnie « Aigle Azur » qui est en panne depuis 3 semaines. Au troisième obus tiré, il prend feu et bascule le nez en l’air, matérialisant ainsi le milieu de la piste d’aviation…
12h00, un DC3 est détruit à son tour, puis un autre à 14h30 sur le terrain d’« Isabelle ».
17h20, un déluge de feu s’abat sur l’ensemble du camp retranché. La position « Béatrice » tenu par le 3ème Bataillon de la 13ème DBLE subit les premiers assauts de six bataillons ennemis soutenus par une puissante base de feu (312ème Division). Son chef, le colonel GAUCHER est tué dans son abri avec tout son état-major par un obus tombé dans son PC.
22h30, la résistance des hommes de la « 13 » est héroïque mais désespérée. Malgré une résistance acharnée des légionnaires, « Béatrice » tombe à 2 heures du matin le 14 mars 1954
Situation au 8ème Choc :
Le bataillon constituant la seule réserve du camp retranché avec le 1er BEP est à son poste sur « Epervier », prêt à intervenir sur ordre. Il ne bougera pas et de toute façon, son approche de « Béatrice » aurait été trop meurtrière.
Etat des pertes :
5 tués : caporal N’GUYEN VAN DA, caporal N’GUYEN VAN TIT, 1cl VU VAN THOAN, para N’GUYEN HUY TUAN, para Claude TORTOLI (3ème Compagnie)
19 blessés plus ou moins graves
Témoignages
Sergent L.H. LEGRAIN de la 3ème Cie
… « A 17 heures, les premiers obus de 105 arrivent, ça a l’air sérieux. Le tir s’intensifie sur l’ensemble de Diên Biên Phu et en particulier sur le PA nord de « Béatrice » tenu par le 3° bataillon de la 13* DBLE. Presque toute ma section est dans mon grand abri. Je commence la distribution des grenades en vue d’une intervention éventuelle ; je donne des ordres à RAFFIER et à MILLET quand, tout à coup, éclate un obus. La poussière envahit tout. J’allais m’exclamer : « Tiens, il n’est pas tombé loin celui-là ! » Mais des cris m’arrêtent, RAFFIER sort en titubant et en se tenant la poitrine ; MILLET est complètement hébété. Dans l’abri, tout est retourné ; un obus de 105 vient de traverser la toiture et a explosé en plein milieu ! Quel spectacle, le caporal TIT a la mâchoire déchiquetée, une jambe arrachée. Un autre n’a plus de jambe ; quatre morts, neuf blessés tous très gravement atteints. Je vais chercher de l’aide à la 1″ section qui est installée à côté. Les morts et les blessés sont évacués sur l’antenne chirurgicale sous une pluie d’obus.
TOAN, THUAN, le petit KIM et les autres, mes garçons, plus de la moitié de la section est perdue, un drôle de coup.
A l’antenne chirurgicale, les blessés affluent de tous côtés. Vonvon DUBOIS et ses hommes me donnent un sérieux coup de main et de cœur. Une bonne partie de la nuit, je reste à l’antenne. Je vois le chirurgien GINDREY couper le restant d’un bras à BANG, la moitié de la main et une jambe. Je reconnais cinq tués parmi les autres, un est mort en cours de transport.
Je regarde ceux qui restent, six valides fous de peur. Je suis obligé de les secouer durement. La 1″ section nous recueille dans ses abris ; je rends compte au lieutenant Bailly qui est sidéré lui aussi. RAFFIER a la poitrine transpercée par un éclat, MILLET a une main un peu abîmée mais il est choqué, il dort.
Avec Vonvon DUBOIS, nous finissons par avoir un bon coup dans l’aile, nous avons touché un peu trop au rhum de l’antenne chirurgicale et nous sommes sur le toit d’un abri à regarder les arrivées d’obus »…
PREGNON de la CA
… « Le 13 mars, quand ça se déclenche, il est cinq heures de l’après-midi. Je suis avec un gars, BASTIAN qui sera tué en avril d’un éclat d’obus dans la gorge. Nous sommes en train de discuter dans une tranchée peu profonde. Nous attendons les obus habituels, ceux qui visent les avions sur la piste, histoire de voir s’ils vont en casser un. Et d’un seul coup, paf ! Ça arrive. Mais alors par paquets de douze. Nous nous demandons ce qui se passe.
Ce n’est pas possible, merde, ils ont de l’artillerie. C’est du 105 ça ?
BASTIAN me dit :
-
- Je rejoins ma section. (Il est au mortier de 81).
- Moi aussi !
Et je vais au PC voir le chef.
Quand j’arrive, un obus m’a précédé. Je vois un type courir en slip, c’est le chef de section, le lieutenant ALLOUSQUE.
Celui-ci va rendre compte au capitaine, je crois. Heureusement nous n’avons pas de blessés.
Toute la nuit nous prenons de l’artillerie sur la gueule. Et nous nous apprêtons à partir en contre-attaque. Nous étions prêts, il y avait eu des ordres… mais nous ne sommes jamais partis »…
Un dépôt de carburant est touché. Dans cette concentration d’abris, de PC, de soutes et de positions diverses qu’est le PC central, il n’est pas difficile pour les artilleurs viêts de faire but sur une cible de choix.
BRYARD de la 2ème Cie
… « Quand les tirs d’artillerie ont commencé, nous avons d’abord été un peu surpris ! C’est là que FILOCHE a eu les jambes arrachées. Le PC GONO aurait contacté l’aviation, les « Privateer » et soi-disant toute l’aviation de l’Indochine qui doit venir à notre rescousse et puis, total, nous avons vu deux petits avions de rien du tout. Alors là ! La troupe a été un peu démoralisée. Nous nous sommes dit : « Ce n’est pas possible ». Il y en a qui ont évoqué le temps, le plafond trop bas, ça nous semble quand même un peu drôle.
Le lendemain, je crois, on voit un avion larguer des bonshommes. Les Viêts ont caché leurs canons dans des casemates creusées dans la montagne. Ils les sortent au moment de tirer et les rentrent après ; ainsi, lorsque les avions prennent les photos, il n’y a plus rien à voir. »…
Cette photo a été prise le 13 mars 1954 à 15h15 à 950 m d’altitude.
En haut à gauche du bout de la piste, la position « Epervier » du 8ème Choc (A).
Au milieu à droite la position « Huguette 1 » (B)
En bas, dans l’axe de la piste « Anne-Marie 3 » (C) qui deviendra « Huguette 6 » le 18 mars.
En face d’« Huguette 1 », à peu près au milieu de la piste (D), on distingue le Curtis- Commando de la compagnie Aigle-Azur qui a été détruit le matin même et qui deviendra un des principaux points de repaire pour tous les combattants de Diên Biên Phu.
Avenue du lieutenant Jacques Desplats
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