Opération aéroportée au Kosovo en 2004

Par le général Didier BROUSSE, ex chef de corps du 8ème R.P.I.Ma de 2003 à 2005.

Nota:

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    • Vidéo sur l’OAP DC04 en fin de page.

                                                                                                                      

Depuis le XIXe siècle, les Balkans sont une zone traditionnelle de conflits en Europe centrale et les historiens nomment « question d’Orient », le récit du reflux progressif de l’Empire ottoman des terres de ce que fut l’Empire byzantin tombé sous sa domination en 1453. Au cœur des Balkans, le 28 juin 1914, l’attentat de Sarajevo, en Bosnie-Herzégovine sous domination de l’Empire austro-hongrois embrase une Europe divisée en deux grands systèmes d’alliance. Au sein de l’Entente, la France, alliée de la Serbie[1], envoie « l’armée d’Orient » combattre l’Alliance dans les Balkans. La Première Guerre mondiale met un terme à la « question d’Orient » car les traités[2] découpent l’Empire austro-hongrois en une multitude d’États où la Serbie se retrouve au cœur d’un royaume de Yougoslavie disparate et dans une Europe balkanique définitivement débarrassée des Ottomans[3]. Le royaume disparait en 1941 et laisse la place, en 1945, à la République fédérale socialiste de Yougoslavie : RFSY où la Serbie compte parmi les six provinces autonomes. Le Croate Josep Broz Tito instaure un régime communiste et tient d’une main de fer la Fédération.

La fin de la guerre froide fait ressurgir des antagonismes complexes y compris identitaires. En décembre 1991, la Croatie, la Slovénie et Bosnie-Herzégovine proclament leur indépendance, reconnue par l’Allemagne puis par la communauté internationale. En butte à une guerre civile entre Serbes orthodoxes et Bosniaques musulmans accompagnée de massacres de civils par des milices pratiquant la « purification ethnique », la RFSY implose laissant la place à la République fédérale de Yougoslavie : RFY. L’ONU met sur pied une mission d’interposition entre les belligérants et de protection des populations jusqu’à participer à la politique de « purification ethnique » en organisant le transfert de Bosniaques hors des zones à dominante serbe.

De 1992 à 1996, l’armée française est présente à Sarajevo et la 11e division parachutiste envoie tour à tour ses régiments comme ce fut le cas du 8e RPIMa. Avec un escadron du 1er RHP, une compagnie du 17e RGP et un état-major tactique, il y constitue le bataillon d’infanterie n° 4 : batinf 4[4] de la FORPRONU[5]. Le siège de la ville de Bosnie, symbole de la guerre civile sur fond de massacres, aboutit à l’intervention militaire des États-Unis et de l’OTAN. Par les accords de Dayton, en novembre 1995, le président William Clinton permet le rétablissement de la paix. Les États-Unis, désormais impliqués dans les Balkans, accroissent la géographie de l’OTAN face à l’Europe impuissante.

Après la guerre d’Afghanistan contre l’URSS, cette guerre a constitué la matrice de l’islamisme radical tandis que se déroulait la « décennie noire » en Algérie. Elle aboutit au morcellement de l’ex Yougoslavie qui se poursuit au Kosovo.

Le Kosovo

La province du sud de la Serbie, grande comme deux départements français, est considérée par les Serbes, chrétiens orthodoxes, comme le pilier spirituel de leur identité nationale : leur Jérusalem, leur terre sainte. Durant des siècles, le Kosovo connait les méandres de l’histoire balkanique tout en forgeant un sentiment national. A partir de 1941, les Albanais du Kosovo collaborent avec les Allemands et constituent la 21e division SS de montagne : Skanderberg. Ils sont favorables au projet germano-italien de démantèlement de la Yougoslavie et de création d’une Grande Albanie. A la fin de la guerre, le président Tito se montre favorable aux Albanais du Kosovo afin de limiter l’influence serbe au sein de la fédération. Ainsi en 1974, il impose le statut de province autonome. Les Serbes quittent peu à peu le Kosovo et les Albanais, musulmans, finissent par représenter 60% de la population.  En 1987, la tendance se renverse avec l’arrivée au pouvoir de Slobodan Milosevic qui supprime l’autonomie en 1989. Dès lors sur fond de fin de guerre froide et de déclin du système communiste, commence une lutte pour le pouvoir entre l’État central serbe et la fraction albanophone conduite par l’armée de libération du Kosovo : ALK ou UCK, organisation paramilitaire et politique à tendance terroriste et maffieuse[6] dirigée par Hashim Thaçi.

La province serbe du Kosovo constitue un enjeu pour l’Europe car elle se trouve au centre d’une ligne de fracture séparant la civilisation chrétienne du monde musulman. La crise de 1999 aboutit à l’abandon des Chrétiens du Kosovo par l’Occident comme plus tard dans les années 2010 au Levant.

 

1999 : le Kosovo sous emprise internationale

L’année 1999 constitue un tournant majeur dans l’histoire du Kosovo car la communauté internationale intervient. Ce sont tout d’abord, de février à mars, les négociations de Rambouillet du groupe de contact avec les indépendantistes albanais et le gouvernement fédéral serbe qui en accepte les principes d’autant que le Kosovo reste reconnu comme appartenant à la RFY. Cependant, l’OTAN entame à partir du 24 mars et jusqu’au 10 juin soit durant 78 jours, une campagne de bombardements de la Serbie, l’opération Allied Force, à laquelle s’oppose la Russie mais participe la France. Alors que le président François Mitterrand avait déclaré le 25 janvier 1993 à Bernard-Henri Lévy : « Moi vivant, jamais, vous m’entendez bien, jamais, la France ne fera la guerre à la Serbie. », son successeur, le président Jacques Chirac rompt une alliance remontant à la fin du XIXe siècle et scellée dans le sang durant la Grande Guerre. Par-là, il s’aligne sur la politique américaine qui vise à créer de petits États musulmans en Europe pour mieux contrôler l’axe Caspienne- Adriatique grâce à l’OTAN. La France laisse les Américains, les Britanniques et les Allemands soutenir l’UCK[7].

Le 9 juin, l’accord militaire technique : MTA signé à Kumanovo prévoit le retrait progressif des forces serbes du Kosovo et l’entrée dans la province serbe des brigades nationales de la KFOR de l’OTAN. Parmi elles, la brigade française Leclerc participe à une guerre considérée comme dissymétrique ou anti-accès car les Serbes protègent leur territoire.

Puis le 10 juin, le Conseil de sécurité de l’ONU adopte la résolution 1244 qui réaffirme « la souveraineté et l’intégrité territoriale de la RFY »[8].

La résolution décide du déploiement « de présences internationales civile et de sécurité (…) sans tarder »[9] en vertu du chapitre VII de la Charte. L’une des missions de « la présence internationale de sécurité »[10], la Force pour le Kosovo : KFOR qui est la force multinationale de l’OTAN au Kosovo, est de soutenir la paix au Kosovo. D’ailleurs son déploiement à partir du 12 juin marque la fin de la guerre. La paix, c’est tout d’abord « démilitariser l’Armée de libération du Kosovo : ALK et les autres groupes armés albanais du Kosovo »[11]. La résolution « exige que l’ALK et les autres groupes armés mettent immédiatement fin à toutes opérations offensives et satisfassent aux exigences en matière de démilitarisation »[12] Or l’UCK poursuivant sans retenue exactions, enlèvements, pogroms et épuration, un accord signe son désarmement le 21 juin. S’il signifie sa défaite militaire, elle remporte une victoire politique grâce au soutien des États-Unis, de l’Union Européenne et de la KFOR. La France est devenue l’un des contributeurs majeurs de la KFOR avec 6 000 hommes sur un total de 50 000 et la participation de l’armée française se déroule au titre de l’opération Trident qui est une OPEX.

La résolution place le Kosovo sous « une administration intermédiaire » internationale afin que la population puisse jouir « d’une autonomie substantielle » au sein de la RFY »[13], la mission d’administration intérimaire des Nations-Unies au Kosovo : MINUK ou UNMIK. Autonomie et démocratie. Le but de la communauté internationale et avec elle de l’UE est de favoriser la démocratie mais avant tout de doter le Kosovo d’un statut autre.

La situation du Kosovo en 2004

En 2004, la situation du Kosovo reste régie par la résolution 1244 car l’épineuse question du statut n’est toujours pas tranchée. Le Kosovo n’est pas un État mais il est prévu d’organiser des élections pour en constituer un, situation ambiguë que le gouvernement français accompagne. Certains parlent d’escroquerie.

Cette année-là et pour la deuxième fois, après le général Marcel Valentin, un général français, le général de corps d’armée Yves de Kermabon[14] commande la KFOR. Le COMKFOR a pris ses fonctions le 1er septembre pour un an. Or en mars, la situation que l’on croyait stabilisée, a dégénéré suite à la noyade de trois enfants albanais tentant de fuir un groupe de Serbes selon la rumeur[15]. Confrontée à trois jours de violentes émeutes antiserbes par des milliers d’Albanais sur tout le Kosovo, la communauté internationale découvre que rien n’a changé et qu’il lui faut réagir. Par ailleurs, doit commencer en 2005 la phase préalable au débat sur le statut.

Le 24 octobre 2004, des élections étant prévues dans la province autonome du Kosovo, il est décidé de renforcer la KFOR du 6 octobre au 6 novembre. Les parachutistes de la 11e BP font partie des renforts mobilisés jusqu’en février 2005.

Cette année-là, la BP mène deux opérations aéroportées au Kosovo, les dernières dans la région remontant aux OAP allemandes de 1941. Et pour l’armée française, c’est une première depuis Kolwezi, en 1978. La première, Determined Commitment 2004 : DC04 ou Engagement déterminé, le 6 octobre 2004, objet de cette communication et la deuxième, l’opération Aigle, le 25 décembre, évoquée dans la communication suivante par son organisateur, le général Jacques Lechevallier[16].

Fin juillet, le CEMA, le général d’armée Henri Bentégeat saisit l’armée de Terre d’un besoin de renfort en vue des élections à Pristina. Après étude par le commandement de la Force d’action terrestre : CFAT, en charge de la programmation et de la préparation à l’engagement opérationnel des unités de l’armée de Terre, la décision est prise sur le plan technique, le 3 août. Le cadre du renfort est bien fixé car il s’intègre à l’opération Trident qui est une OPEX.

Le rôle du CFAT est essentiellement organique, à lui de mettre à disposition du CEMA les unités dont il a besoin pour en assumer le commandement opérationnel.

A la division Emploi, le chef adjoint est le colonel Claude Réglat[18] et au bureau Programmation, l’officier TAP est le lieutenant-colonel Jacques Aragones, chargé aussi du suivi des travaux de rédaction de la doctrine[19]. Selon la règle, il leur suffit de recourir au système d’alerte Guépard. Le 8e régiment de parachutistes d’infanterie de marine : RPIMa est d’alerte. Alors au lieu d’affréter un Airbus depuis Toulouse, l’idée germe de mettre en place le renfort par les airs. Le lieutenant-colonel Aragones vérifie si une mise en place dynamique avec largage, en un mot, une OAP est jouable, elle l’est. Elle offre même une opportunité à l’armée de l’Air et à son commandement de la force aérienne de projection : CFAP pourtant mobilisés par l’Afghanistan mais intéressés par la réalisation d’un vol tactique avec largage sur une zone inconnue. Le général de corps d’armée Jean-Claude Thomann, commandant le CFAT donne son accord. L’idée validée par l’EMAT et l’EMA est ensuite transmise à l’OTAN par le centre de planification et de conduite des opérations : CPCO, la KFOR étant mise en œuvre par l’OTAN sur mandat du conseil de sécurité. Peu à peu ce qui n’était qu’une opération terrestre prend une dimension interarmées et internationale. L’OTAN programme ses moyens : un Awacs, des avions de chasse, un brouilleur pour couvrir le saut du 8e RPIMa intégré dans un ensemble plus vaste car l’organisation transatlantique a fait appel aux réserves stratégiques, les Strategic Reserve Forces : SRF. A ce titre, le 8e RPIMa, qui est le French Strategic Reserve Battalion : FR SRF Bn doit être projeté avec des bataillons italiens, le 187ème bataillon parachutiste et le bataillon amphibie San Marco avec 800 hommes et avec un bataillon allemand de 650. Mais il fut le seul à l’être par voie aéroportée.

Le choix du 8e RPIMA n’est pas le fruit du hasard et le bataillon français bénéficie d’un « alignement des planètes ». Au-delà des parachutistes du CFAT, initiateurs de l’OAP, la brigade multinationale Nord Est de la KFOR : BMN-NE est commandée par le COMBRIG de la 11ème BP[20], le général Lechevallier, tout comme le CPCO par son prédécesseur, le général Emmanuel Beth. Ce mode de projection ne peut donc être que plébiscité par les autorités françaises ; en outre, cette opération fut l’occasion de valider le tout nouveau concept national des opérations aéroportées … et de montrer les savoir-faire français en la matière.

Les délais étant contraints car le régiment a été désigné tardivement, la préparation à l’engagement du 8e RPIMa, commandé par le colonel Didier Brousse, s’accélère de la fin de l’été à la rentrée de septembre sous la houlette du chef de bataillon Bruno Paravisini, chef « ops » du régiment. Il s’agit tout d’abord de la préparation spécifique au théâtre balkanique, or il convient d’anticiper l’attitude des populations. Les adversaires potentiels sont identifiés comme les extrémistes de tous bords pouvant saisir cette occasion pour contester l’action de la KFOR. Suivent l’entraînement au contrôle des foules : CRC[21] et le renforcement des savoir-faire aéroportés, au moyen notamment de l’exercice aéroporté : EAP Argonaute. Il s’est déroulé la semaine précédant l’OAP sur la ZMT de Ger Azet au cours duquel 300 parachutistes ont été largués en deux vagues par trois avions. Enfin les véhicules blindés du bataillon, nécessaires à sa remotorisation, sont mis en place sur le théâtre à l’occasion de la relève du bataillon motorisé de la BMN-NE par le 1er régiment de chasseurs parachutistes : RCP de Pamiers dès la fin septembre.

Une OAP, en temps de paix, implique en amont une reconnaissance des zones de saut potentielles ce qui est fait du 7 eu 10 septembre. Deux zones de mise à terre : ZMT sont retenues. La première se situe à proximité de Skenderai, elle présente l’avantage d’être excellente du point de vue technique mais a d’inconvénient d’être très proche d’un foyer d’irrédentistes kosovars. La deuxième jouxte Novo Selo, une zone plus difficile mais moins vulnérable. Longue de 2800 mètres et de 400 de large, elle est plus vallonnée et parsemée de bosquets d’arbres. La confirmation de la ZMT ne s’est faite que la veille de la projection. Elle aurait pu être envahie par des véhicules et les parachutistes pris à partie par des tirs, sous voile ou au sol …Pour cette raison, le bataillon a sauté avec les munitions réelles, l’ensemble de ses appuis dont ses mortiers et Milans et ses commandos parachutistes.

Chaque composante y trouve un avantage. Pour l’EMA et l’armée de terre, c’est un saut en zone de conflit alors que les circonstances des autres engagements français s’y prêtent peu. Pour l’armée de l’Air, c’est une opération un peu complexe. Quant à l’OTAN et la KFOR, c’est une opération de communication à forte retombée politique en réponse aux émeutes de mars. Un message fort adressé aux Kosovars, aux Serbes et aux Russes sur la détermination de l’OTAN et ce quelle sait faire. Le choix d’une mise en place par une OAP et non par les voies plus traditionnelles maritimes, routières ou par aérotransport n’est pas un simple Show of force, il vise à fortement frapper les esprits, à dissuader les agitateurs potentiels à l’approche d’élections importantes. Il prouve que l’OTAN est capable de réagir vite, de renforcer rapidement ses unités avec une réserve de forces stratégiques.

  

La réalisation de l’OAP

 

Le 5 octobre, la 3e compagnie de combat du capitaine Mickaël Bénichou, la compagnie d’éclairage et d’appui :CEA du capitaine Éric Dupont de Dinechin, l’unité de commandement et de logistique : UCL du capitaine Thierry Agnoly et l’état-major tactique se rassemblent dans la Zone de rassemblement et d’attente : ZRA de Miramas. Tous s’activent à la perception des munitions, à l’affinage du fractionnement, à la préparation des gaines et des équipements… tandis que les briefings avec le groupement de transport, commandé par le Lieutenant-colonel Rapp, se succèdent.

La nuit est très courte pour les parachutistes car le 6 octobre, à Istres, après avoir perçu les parachutes, conditionné les charges, l’embarquement commence à partir de 2h30. Mauvaise surprise, faute de place, chaque parachutiste doit tenir sa gaine sur lui. Les huit avions C160 Transall dont un spare, auto protégés contre les tirs de missiles entament leur vol vers les Balkans, dans un premier temps en s’insérant au niveau de vol du trafic civil. Pendant ce temps, chacun somnole, tente de récupérer malgré le vacarme des turbopropulseurs. Après avoir parcouru les mille cinq cents Km, les Transall atteignent la frontière albanaise et effectuent leur descente vers l’altitude d’infiltration en vol tactique[22]. Ils resserrent leur formation pour être en mesure de larguer en colonne. Durant la dernière demi-heure, le temps pour les 363 parachutistes de finir de s’équiper, pour les largueurs de procéder aux ultimes vérifications, ils larguent à partir de 11h, à une altitude de 200 mètres, la hauteur minimale de largage autorisée ce qui génère une tension maximale, en une seule vague les hommes et leurs douze colis d’accompagnement à la queue leu leu comme le montre les photos et le petit film du SIRPA Terre[23]. Un seul blessé léger est à déplorer.

« Nous devions tout larguer en moins de deux minutes, raconte le Lieutenant-colonel Rapp, pour augmenter l’effet de masse et réduire la vulnérabilité des para. Nous avons réussi à le faire, en étageant quatre niveaux de parachutistes, entre ceux qui sortaient juste du Transall et ceux qui arrivaient au sol. La première patrouille de trois avions était espacée à quinze secondes et la deuxième de quatre suivait à trente secondes, elle aussi espacée de quinze secondes »[24]

Ce sont cinq heures de vols « plié en quatre et équipé dans la soute de notre vénérable Transall C-160, le parachute a enfin claqué, bouffée d’air frais balkanique, des camarades sous voile partout sous mes pieds, largués et étagés sur quatre niveaux. Éviter les bosquets d’arbres, délester la gaine. Finalement ce carré de maïs encore sur pied sera pour moi, clin d’œil de notre Sud-ouest de départ. Identifier rapidement le point initial. Ça y est ! Notre mission vient de véritablement commencer… »[25]

En deux minutes, le bataillon est à terre. En une heure et demie, il est réarticulé sur les points d’identification. A midi, il s’infiltre vers la zone d’attente de ses véhicules regroupés à trois Km. Le chef de bataillon Paravisini, ordonnateur du saut est satisfait et le chef de corps, le colonel Brousse peut rendre compte à la radio du succès d’un saut intense et brutal dans une très courte fenêtre de largage. Trois heures et demi après les parachutistes retrouvent leurs VAB et VBL arrivés par bateau, quittent la zone et gagnent leur cantonnement, les uns au camp du « Serment Koufra » de Mitrovica et les autres au camp Plana.

En effet, tout d’abord planifié pour une action de va et vient, au lieu de cela, le bataillon projeté est demeuré sur le théâtre jusqu’en février 2005 comme réserve opérative du COMKFOR, le général de Kermabon. Et placé sous le commandement successif de chaque brigade multinationale, il devient le bataillon de manœuvre et de réserve tactique de la KFOR[26]

La mission imprévue du bataillon

 

Après quatre jours d’installation, le bataillon commence sa mission en amont des élections. Il s’agit d’une classique mission de reconnaissance de sa zone de responsabilité en organisant check-points et patrouilles afin de récolter des renseignements et de trouver des armes. Les 19 et 20 octobre, lors de l’opération Cross Boundary, à une trentaine de Km à l’est de Mitrovica, dans la région de Podujevo, les parachutistes contrôlent populations et véhicules. Puis le bataillon est en alerte du 23 au 25 pour intervenir si nécessaire lors des élections. Le 7 novembre, lors de l’opération Border Watch, le bataillon est à nouveau mobilisé pour une autre élection : le référendum[27]

Conclusion

 

Finalement, l’on peut tirer trois observations de cette OAP. Tout d’abord du point de vue stratégique, par la portée de l’action entreprise : Over The Horizon Force – OTHF et par son application politico-militaire, montrant la détermination de la communauté internationale à réussir le déroulement d’élections provinciales déterminantes pour l’avenir du Kosovo. Puis du point de vue médiatique, par le mode d’engagement « démonstratif » choisi et sa valeur dissuasive devant « marquer les esprits ». Enfin du point de vue symbolique, car 50 ans après le parachutage du 6ème bataillon de parachutistes coloniaux: BPC du commandant Marcel Bigeard dans le brasier de Diên Biên Phu, les jeunes « Volontaires » du « 8 » eurent le sentiment de communier, sous leur coupole, avec leurs glorieux ainés[28].

Au bilan, au-delà de l’effet tactique de « sidération » obtenu, la portée réelle de cette OAP est beaucoup plus importante … et paradoxalement pour l’armée française. En effet, elle a exhumé un mode d’action délaissé depuis de nombreuses années puisque la dernière OAP d’envergure remontait à 1978, au Zaïre et l’opération Libage évoquée dans la première partie par le général Maurice Le Page a utilisé l’aérolargage et l’héliportage. S’est amorcé le virage de la doctrine française dans l’emploi des parachutistes. Actuellement, l’OAP est banalisée au Mali et plus largement au Sahel où elle a retrouvé pleinement sa justification première de portée stratégique : transporter des combattants et leurs équipements à des milliers de kilomètres en peu de temps, pour y accomplir une mission dont la portée et l’écho dépassent le niveau de force engagé.

  

[1] Libérée du joug ottoman depuis 1815.

[2][2] De Saint-Germain du 19 septembre 1919 et de Trianon du 2 juin 1929.

[3] Le traité de Sèvres du 10 août 1920 achève le retrait d’Europe des Ottomans  entamé lors des guerres balkanique Il partage la partie levantine de l’Empire en plusieurs États placés sous mandats franco-britannique.

[4] Il est dissous le 23 janvier 1995.

[5] Pons Frédéric, Opérations extérieures, les volontaires du 8e RPIMa, Liban 1978-Afghanistan 2009, Presses de la Cité, 2009, pp

268-292.

[6] Elle s’adonne aux trafics de femmes et d’organes prélevés sur des Serbes et des Tziganes vivants, devenant la plaque tournante du narcotrafic en Europe, adossée à une puissante diaspora.

[7] Hogard Jacques, L’Europe est morte à Pristina. Guerre du Kosovo (printemps-été 1999), Hugo Doc, 2014.

[8] Préambule de la résolution. Cependant l’article 11, a) évoque « l’instauration au Kosovo d’une autonomie et d’une auto-administration substantielles  ».

[9] Articles 5 et 8. Annexe 2, article 3.

[10] Articles 7 et 9.

[11][11] Article 9 b.

[12] Article 15.

[13] Article 10. Annexe 2, article 5.

Bernard Kouchner est nommé Haut représentant de l’ONU en charge de l’administration de juillet 1999 à janvier 2001. A lui d’élaborer des institutions démocratiques.

[14] Il connait la situation car  en 2001, il commandait la Brigade multinationale Nord : BMN-N et en 2003, il fut l’adjoint du COMFOR pendant six mois.

[15] Les 17, 18 et 19 mars, 300 maisons et une trentaine d’églises et de monastères serbes sont détruits. Ainsi l’église de Saint-Sava, au sud de Mitrovica est brûlée, le monastère de Devic est dévasté.  La ville de Caglavica, proche de Pristina, le village de Svinjare et l’enclave serbe de Gojbulja sont attaqués. En chassant ainsi les Serbes, les Albanais procèdent à une « épuration ethnique » qui choque les ONG favorables aux Albanais et le le commandant en chef des Forces alliées Sud-Europe. 

60 soldats de la KFOR sont blessés dont une douzaine de Français de la BMN-NE qui reçoit une renfort de 400 soldats.

LTN Florence Tarin, «  Des renforts pour plus de confiance », Terre Info Magazine, n°160, décembre 2004, p 21.

Hogard Jacques, op cit,  pp 100-101.

[16] Depuis le 5 octobre 2004, il commande les 2 500 soldats de la BMN-NE.

[17] Entretien avec le général (2S) Claude Réglat, à Castres, le 15 novembre 2021 suivi d’un nouvel entretien avec le général Réglat et le général (2S) Jacques Aragones, à Castres, le 8 décembre.

Entretien avec le général de corps d’armée (2S) Didier Brousse, 20 janvier 2022.

[18] Il a commandé le 8e RPIMa de 1995 à 1997.

[19] Lieutenant, il fut chef de section au 8e RPIMa qu’il a commandé à son tour de 2007 à 2009.

[20] Avec la baisse des effectifs entamée depuis la fin de la guerre froide au nom des « dividendes de la paix »  suivie de la professionnalisation décidée afin de faire face à la nouvelle conflictualité, nombre de régiments des divisions de l’armée de Terre sont dissous. La 11e DP change de format en perdant 30% de ses effectifs, elle est remplacée par la 11e brigade parachutiste.

[21] Crowd Riot Control.

[22] La situation est la suivante : l’avion veut voler rapidement pour échapper à la vulnérabilité du temps de largage tandis que les parachutistes veulent qu’il vole plus lentement pour mieux les concentrer au sol.

[23] LTN Florence Tarin, op cit, pp 18-21.

[24] Témoignage du LCL Rapp rapporté par le général Brousse.

[25] Témoignage du général Brousse,  Ibidem.

[26] KFOR TACRES MANBAT BATTALION: KTM Bn.

[27] Fons Frédéric, op cit, pp 318-319.

[28] Témoignage du général Brousse. Op cit.

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