La bataille de Bizerte

19 – 23 juillet 1961

La Bataille de Bizerte

« Opération Charrue 19 – 23 juillet 1961 » Préambule

 

Des accords de 1956 donnant l’indépendance à la Tunisie, la base stratégique de Bizerte avait été prêtée à la France.

Cette base constituait avec l’île de Malte et Syracuse en Sicile, l’un des maillons indispensables de la ceinture de radars que le commandement Sud de l’OTAN à Naples avait établie pour surveiller les évolutions de l’escadre soviétique passée de la mer Noire en Méditerranée orientale.

Quand on veut se faire un jugement sans parti pris sur Bizerte, il faut regarder la carte » Général de Gaulle.

En vertu

Le 17 juillet 1961, le Président de la République tunisienne (depuis 1957) Habib Bourguiba prononce devant son parti, le Néo Destour, un discours particulièrement belliqueux contre la France.  Il s’enhardit à vouloir reprendre de force la base de Bizerte aux Français.

C’est sans compter avec la personnalité du général de Gaulle qui n’est pas homme à se laisser humilier de la sorte.

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Le 18 juillet les troupes tunisiennes encerclent et isolent les implantations de l’armée française tenues par le 8ième Régiment de Hussards, la Marine nationale à Karouba et l’armée de l’air sur l’aérodrome de Sidi Ahmed, le tout aux ordres du vice-amiral d’escadre Amman.

Le soir même, le général de Gaulle ordonne au général Ailleret, commandant nos forces en Algérie de sécuriser la base de Bizerte.  Dans la nuit du 18 au 19 juillet une flottille de 50 Nord-atlas est regroupée sur la base aérienne de Blida, au sud d’Alger.

    • le 19 juillet, le 2ième R.P.I.Ma est parachuté sur la piste d’aviation de Sidi Ahmed avec mission de réaliser la sûreté immédiate de la base aérienne.
    • le 20 juillet, le 3ième R.P.I.Ma effectue un poser d’assaut avec mission d’assurer la sûreté éloignée des installations et de dégager le goulet de Bizerte.
    • le 21 juillet, le 3ième R.E.I. est en partie aérotransporté et en partie acheminé par bateau, engagé en renfort du 2 et du 3ième R.P.I.Ma.
Vue aérienne de Bizerte

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Ce qui suit est le récit du lieutenant François Cann, commandant la 2ième compagnie du 3ième R.P.I.Ma (indicatif radio: Patriote Rouge) sur l’engagement de son unité dans les combats de Bizerte les 20 et 21 juillet 1961.

La deuxième compagnie du 3ième Régiment de Parachutistes d’Infanterie de Marine (RPIMa), comme toutes les autres unités du régiment se trouve depuis quelques jours au repos à sa base de Sidi Ferruch, dans la banlieue d’Alger, après trois mois d’opération, lorsqu’elle reçoit un ordre de mise en alerte immédiate.

Le fait en lui-même est banal en cet été 1961.  Il est le lot commun des troupes d’intervention.  Mais cet ordre-ci a de quoi susciter notre étonnement et nos imaginations : « se tenir prêt dans un délai de 24 heures pour une opération aéroportée en Tunisie ».

 « Sous les pins de la B.A. », dit le chant de la « 2 », « Branle bas de combat, de Timimoun jusqu’à Tebessa, dans les coups durs ils sont toujours là ».  

Mais cette fois, il s’agit d’aller plus loin.

Par cette magie propre aux unités d’intervention, la compagnie, qui est au repos complet dispersée dans Alger et les alentours, sera rassemblée en moins de trois heures.

La perspective d’une escapade hors d’Algérie, et de surcroît au bout d’un parachute, stimule les ardeurs et réveille chez certains, les souvenirs, déjà vieux de cinq ans, de l’opération en Egypte sur Port Saïd (5 novembre 1956).

La compagnie frissonne d’une joie toute juvénile.  Son effectif théorique de 184 est réalisé à 172.  Elle compte une trentaine d’absents, permissionnaires et stagiaires.

Les sections ont des chefs d’exception :

    • le sous-lieutenant Bertolini fut le sous-officier le plus décoré des parachutistes,
    • le lieutenant Pagni, jeune saint-cyrien fougueux et courageux,
    • l’adjudant Ragouillaux, héros du 6ième B.P.C. de Bigeard à Diên Biên Phu,
    • l’adjudant Marsilli, ancien du 8ième B.P.C. en Indochine.

Forte de 3 officiers, de 21 sous-officiers et de quelque 118 caporaux-chefs caporaux et parachutistes, tous engagés volontaires de trois ou cinq ans, elle a un moyenne d’âge de vingt-et-un ans et une ancienneté de service, cadres compris, de trente mois, dont vingt-quatre passés ensemble en Algérie.

Les cadres sont en place pour la plupart depuis plus d’un an.  Seulement sept d’entre eux sont mariés et totalisent une dizaine d’enfants.  C’est dire l’exceptionnelle disponibilité physique mais surtout mentale qui anime cette unité à la condition physique et psychique affûtée par d’incessants « crapahuts » de jour comme de nuit sur l’ensemble du territoire algérien.

L’armement, bien que vieillissant, est en bon état, parfaitement réglé et connu des hommes, en particulier de ceux qui vont jouer un rôle capital, les tireurs d’élite, les tireurs au fusil-mitrailleur et au fusil lance-grenades (un type d’armes d’appoint dont l’efficacité surpassera dans les rues celle des vieux mortiers de 60mm).

Les sections ont l’habileté tactique à éclater instantanément sur le terrain, jusqu’au niveau du groupe de combat, voire de l’équipe, et à se regrouper, sur ordre, aussi rapidement.  Cette aptitude particulière fera la décision dans les rues de Bizerte.

Mais les cadres sont préoccupés par le faible niveau de technique aéroportée de leurs hommes : à la différence de leurs glorieux aînés d’Indochine qui intervenaient presque exclusivement par parachutage, les jeunes parachutistes d’Algérie doivent se contenter au mieux, de six à huit sauts de manœuvre de compagnie par an.  Un rythme bien insuffisant pour réduire le taux de « casse » à l’atterrissage.

Equipés à l’époque de vieux parachutes 661 dotés d’une petite voile de 60m², chargés comme des baudets, les paras atterrissaient à grande vitesse sur les zones de saut desséchées de l’Algérois.  La sanction pour les unités était un taux moyen de 5% d’inaptes opérationnels à l’issue du saut pour fractures, entorses et autres contusions ou traumatismes.

La perspective d’avoir à sauter sur l’aérodrome de Bizerte par une chaude après-midi d’été avec un « barda » alourdi de deux jours de vivres et d’eau et de deux unités de feu, tempère quelque peu nos ardeurs combatives.  Nous nous en remettons secrètement à Saint Michel que nous implorons de bien vouloir nous porter de son aile jusqu’au sol.

Cette légère appréhension est la seule qui habite nos pensées nourries par ailleurs de l’enthousiasme de la jeunesse et d’une confiance absolue dans notre valeur au combat.

Nous embarquons le 20 juillet vers midi sur la base aérienne de Blida dans des avions Nord 2501 surchauffés depuis le matin au soleil de la Mitidja au point que quelques facétieux les ont baptisés « les sauna gratuits de la French Air Force ».  Ce vol qui nous porte d’Algérie vers la pointe nord oriental de la Tunisie nous paraît interminable, tant l’inconfort nous accable.

Nous survolons Bizerte en altitude à deux reprises.  Par les hublots nous distinguons nettement de nombreuses fumées et nous devinons des explosions çà et là autour du terrain d’aviation.

L’impatience nous ronge.  Nous nous demandons pourquoi les largueurs tardent à ouvrir les portes et à nous préparer au largage, lorsqu’un membre de l’équipage vient me prévenir que nous ne sauterons pas et que les avions viennent de recevoir l’ordre de se poser avec leur cargaison.  Il ajoute qu’il ne faudra pas s’attarder car les appareils devront redécoller au plus vite sans arrêter leurs moteurs.

La nouvelle, transmise de bouche à oreille, suscite en nous un curieux mélange de soulagement et de déception.  Soulagement d’échapper à la mauvaise loterie d’un parachutage sur le béton surchauffé mais déception aussi de perdre l’occasion d’un saut d’opération, si rare à l’époque, et qui aurait été enregistré en rouge (c’était la tradition pour les sauts de guerre) sur nos carnets de vol.

La descente est rapide et l’atterrissage particulièrement mouvementé.  On sent que l’équipage n’a pas du tout l’intention de s’attarder à faire du tourisme.  Le temps d’apercevoir sur un taxiway un Nord Atlas qui brûle, touché de plein fouet par un obus et notre avion, dans un crissement de pneus, vient s’immobiliser sur l’herbe, bien à l’écart de la piste et des autres appareils.

Nous venons de prendre contact avec la Tunisie.  Il est 15 heures 20.  Je retrouve avec joie mes quatre sections regroupées à l’abri et à l’ombre d’un hangar de l’aéronavale lorsqu’un officier supérieur, que je ne connais pas, accourt vers moi pour me dire « Etes-vous Patriote Rouge Autorité » ? (en clair : êtes-vous le commandant de la 2ième compagnie du 3ième R.P.I.Ma ?) Oui !  Alors voici huit GMC sans chauffeur.  Pavie Rouge (la 2ième compagnie du 2ième R.P.I.Ma est en difficulté à 4 km à l’ouest d’ici.  Portez-vous au plus vite à sa hauteur cote 36, au marabout de Sidi Ahmed.  Telle fréquence radio. Bonne chance, mais SVP, dépêchez-vous ! »

C’est ainsi que nous sommes sans transition engagés dans l’opération de Bizerte, qui pour la compagnie va se traduire par trois actions bien différenciées :

    • l’après-midi du 20 juillet, à l’ouest du terrain d’aviation, destruction de résistances en rase campagne ;
    • au cours de la nuit du 20 au 21 juillet, interception et neutralisation d’une unité adverse se repliant sur Bizerte vers Ferryville ;
    • le 21 juillet après-midi, assaut et réduction des casernes Farre et Lambert dans la ville de Bizerte.

1.  Action du 20 juillet après-midi

Le temps de prendre la mesure des GMC fraîchement extraits des stocks de mobilisation et nous arrivons, vers 16 heures à la cote 36 où je trouve le lieutenant Jacquemin, commandant la 2ième compagnie du 2ième RPIMa.  Son unité qui a beaucoup bataillé est éprouvée par plusieurs heures de combat, une nuit sans sommeil et cette chaleur moite dans laquelle mijote la baie de Bizerte.

Jacquemin me demande de soulager son flanc sud où des groupes de combat tunisiens, camouflés dans des bottes de foin éparses dans les vergers d’oliviers, harcèlent sans cesse ses sections.

Le temps de bien localiser l’adversaire et de placer les bases de feu et déjà les sections s’infiltrent en souplesse.  L’efficacité des tireurs d’élite et des tireurs de grenades à fusil s’avère spectaculaire.

Soudain vers 17 heures, un bruit d’enfer nous fait sursauter : trois patrouilles d’avions « Corsaires» de l’aéronavale nous survolent au ras des oreilles.  Il s’agit de la flottille du lieutenant de vaisseau (aujourd’hui amiral) Doniol, indicatif Papa, dont les pilotes, par l’extraordinaire précision de leurs tirs d’appui, nous permettent de faire un bond décisif jusqu’au douar Djafeur vers lequel l’adversaire s’est enfui après avoir abandonné une dizaine de tués, cinq prisonniers et une quinzaine d’armes individuelles.

Appui aérien

Après le départ des « Corsaires » et la fin des combats, le silence est seulement rompu par l’écho de conversations radios lointaines relatant les combats autour de l’aéroport.

Mon radio de compagnie ne réussit pas à obtenir le contact avec Patriote Soleil (le lieutenant-colonel le Borgne, commandant le 3ième RPIMa).  Isolé près du douar Djafeur, au-dessus duquel le soleil décline, je ne me sens pas en sécurité : je suis à plus de deux heures à pied de l’unité la plus proche.

C’est alors qu’entendant sur les ondes Patriote gris (la 4ième compagnie du capitaine Volquemanne) qui rend compte des accrochages à la gare de Sidi Ahmed, au sud du terrain d’aviation, et signale le décrochage d’éléments adverses vers le sud dans notre direction, le long de la voie ferrée, je prends l’initiative de pousser au plus loin vers le sud-est pour couper la route à cet adversaire qui se replie en direction de Ferryville.

 

2.  La nuit du 20 au 21.

La nuit est tombée et la compagnie a achevé sa mise en place en embuscade le long du remblai de la voie ferrée qui jalonne l’itinéraire de repli de l’adverse.  Cachés en contrebas dans les vignes dont la saveur des raisins presque mûrs nous grise, nous observons intensément le haut du remblai.  La nuit est claire et la lune irradie le lac tout proche.  Soudain apparaissent, se détachant en ombres chinoises, les fugitifs de Sidi Ahmed qui sont en train de décrocher à pas forcé, colonne par un, le long des rails.

Nous sommes étonnés de les entendre parler à voix haute.  Ils se sentent rassurés d’avoir pu se dégager des combats de Sidi Ahmed.

L’ouverture du feu les surprend.  Pendant un instant ils croient à une méprise d’une unité tunisienne et cachés çà et là nous interpellent.  Mais, réalisant alors que leur retraite est coupée, ils partent en courant dans tous les sens et surtout vers le lac.

Pour le reste de la nuit, je place la compagnie en hérisson entre la route nationale et la voie ferrée qui relient Bizerte à Ferryville, avec des vues et des feux sur chacune de ces pénétrantes.

Et toujours pas de liaison avec le P.C. régiment !  Mais, j’ai la bonne conscience de couvrir l’opération de Bizerte face au sud d’où, en toute logique, ne tarderont pas à surgir de solides renforts provenant de Tunis ou de la frontière algérienne.

La nuit a été calme.  Au petit jour, nous dénombrons une dizaine de tués tunisiens tombés dans notre embuscade et autant d’armes.

Je dépêche alors un détachement de liaison sur Pavie Rouge (compagnie Jacquemin) que j’espère être toujours au marabout de Sidi Ahmed, avec mission de rendre compte de notre double action de la veille et de la nuit et de solliciter des instructions pour la journée à venir ainsi qu’une fréquence radio plus fiable.

Au retour du détachement j’apprends avec soulagement que le colonel prévenu approximativement par Pavie Rouge, les Corsaires Papa et aussi par Patriote Gris (alerté par l’accrochage de nuit à son Sud), se doute de ma position et de mon intention.  Je ressens aussi quelque fierté de savoir que mon initiative de couverture sud a été particulièrement appréciée.  Mais il faut se tenir prêt à revenir sur Bizerte pour renforcer les unités qui vont être engagées dans la bataille pour la ville.  Je reçois cet ordre le 21 juillet à 13 heures 30.

 3.  21 juillet, l’assaut et la réduction des casernes

A 14 heures 30 nous arrivons à l’entrée de Bizerte à la porte de Mateur où je trouve le lieutenant Pissard qui commande la 3ième compagnie du 3ième RPIMa Patriote Noir.  Il a engagé son unité sur le trottoir sud de l’avenue Bourguiba.  Cette grande artère qui mène au centre de Bizerte est balayée périodiquement par le tir d’un canon antichar embusqué au premier carrefour, à 500 mètres à l’est de la porte de Mateur.

« La rue appartient… »

Le lieutenant-colonel Le Borgne me demande d’épauler Pissard en progressant au nord de l’avenue Bourguiba.  J’engage la 2ième section, celle du lieutenant Pagni, suivie de la 4ième de l’adjudant Marsili mais très rapidement notre situation devient particulièrement inconfortable.  La progression est difficile, sinon impossible.

En une heure, nous avons progressé de deux cents mètres à peine.  C’est alors que, derrière moi l’adjudant Ragouillaux qui commande la 3ième section, me rend compte qu’une de ses équipes de grenadiers voltigeurs, véritables acrobates, a réussi à franchir le mur très élevé de la caserne Farre et à y prendre pied sans se faire remarquer.  Avec quelques planches et des cordes grappillées çà et là, ces hardis débrouillards ont réussi à confectionner des échelles d’assaut.

Stimulé par cette chance insolite que je prends pour un signe du destin, je décide de risquer le tout pour le tout en infiltrant la section Ragouillaux ainsi que la 1ère section, celle du sous-lieutenant Bertolini, suivie de mon PC et de la section de commandement dans cette brèche inattendue, en espérant que mon initiative ne scindera pas la compagnie trop longtemps en deux.

L’escalade prend du temps mais, heureusement, l’ennemi ne réagit toujours pas.  En observant mes hommes, courageux, déterminés, souriants, gravir cette vieille muraille bordée d’orangers et d’eucalyptus sous un ciel bleu magnifique, je me surprends à imaginer de valeureux croisés à l’assaut de quelque forteresse sarrasine.

D’immenses rafales et de nombreuses détonations sur le haut du mur me tirent de ma rêverie héroïque.  L’adversaire vient de s’apercevoir de notre intrusion dans son dispositif.  Tandis que Ragouillaux s’infiltre dans le bâtiment principal, Bertolini, avec un courage absolu, règle seul le sort d’un groupe de mitrailleuses qui balaie la cour principale de la caserne.  Cette furia francese déstabilise soudainement les défenseurs dont l’essentiel du système de feu est orienté vers l’avenue Bourguiba, qu’ils dominent et contrôlent.  Pris à revers, désorientés, la plupart d’entre eux se rendent, les autres disparaissent dans les caves des bâtiments, quelques-uns cherchant à rejoindre la caserne Lambert, toute proche.

Engagé moi-même avec mon PC dans le sillage de Bertolini, apercevant de temps à autre les hommes de Ragouillaux dans les étages du bâtiment principal et ayant depuis longtemps perdu de vue Pagni et Marsilli, dont je ne reçois que des bribes d’informations imprécises, je me sens gagné par un sentiment d’incertitude et d’inconfort.

L’imprécision des nouvelles que me distille Pagni, durement engagé sur l’avenue Bourguiba, tient uniquement au fait que nous ne disposons pas de plans détaillés de la ville de Bizerte : nos cartes d’Etat-major au 1/50.000 ne nous donnent qu’une image réduite et sommaire de la topographie de la ville.

Nous avons alors l’idée de convenir d’un étrange code pour nous signaler réciproquement nos positions : des rafales de PM et de FM différemment cadencées, panachées de fusées éclairantes tirées le plus verticalement possible, permettent à Pagni et à Marsilli de deviner notre position et de s’écarter de l’avenue Bourguiba de plus en plus dangereuse pour se rabattre vers le nord dans notre direction.  Ce mouvement est réalisé de la façon la plus chanceuse et surtout la plus opportune. Il va permettre de prendre en tenaille le deuxième grand ensemble de bâtiments, la caserne Lambert, où, déjà, Bertolini et Ragouillaux commencent à prendre pied par l’enceinte ouest.

Le reste, et c’est une agréable surprise, se déroule vite et de façon quasi mécanique, comme à l’exercice : les défenseurs pris à revers de toutes parts, soudainement isolés, souvent empêtrés dans le service de deux, voire de trois armes (l’arme collective, leur fusil et quelquefois fois un pistolet) ne savent plus quoi faire et, complètement désemparés, paniquent pour s’enfuir un peu n’importe où et, finalement, se rendre … sagement.

Prisonniers

La caserne Lambert étant à son tour conquise, Patriote Soleil (le colonel) m’ordonne de rester sur place, de bien fouiller les casernes, d’en contrôler les accès et de me tenir prêt à renforcer sans délai, soit Patriote Orange (la compagnie Portée du capitaine Teillon) qui venait de nous dépasser pour se saisir de la caserne Japy, soit Patriote Vert (la 1ère compagnie du lieutenant Heulard) et Patriote Marron (la 5ième compagnie du capitaine de Cugnac) engagées toutes deux plus au nord ou encore Patriote Noir (Lieutenant Pissard) et Patriote Gris (la 4ième compagnie du capitaine Volquemanne) poussant l’une et l’autre vers le port.

La situation dans la ville s’étant rapidement décantée, cet ordre d’un nouvel engagement n’est jamais arrivé.  De sorte que l’action de combat de la 2ième compagnie prend fin ce vendredi 21 juillet vers 20 heures.

Notre engagement autour de Bizerte et dans la ville a duré au total une trentaine d’heures.

La compagnie déplore un mort, le sergent Fresnois, tué à l’abordage de la caserne Lambert et six blessés.

Elle a mis hors de combat un grand nombre d’adversaires (une cinquantaine de tués et quelque 300 prisonniers, pour l’essentiel, dans la caserne Lambert) et récupéré plus de 300 armes individuelles et collectives, auxquelles il faut ajouter des trouvailles dans les armureries et les soutes (une cinquantaine d’armes lourdes et autant de légères et environ une trentaine de tonnes de munitions) ainsi qu’une vingtaine de véhicules et autant de postes radio de toutes sortes.

La caractéristique déterminante de la compagnie engagée dans ces trois actions différentes a été une extraordinaire fluidité tactique bien servie par un mordant exceptionnel.

On peut, du bas vers le haut de la hiérarchie, analyser la conjonction des différentes qualités des combattants :

    •  chez tous une condition physique et un état psychique exemplaires,
    • la maîtrise parfaite de l’armement et la précision des tirs,
    • l’initiative et la débrouillardise des caporaux, chefs d’équipe,
    • la pugnacité des sous-officiers, chefs de groupe,
    • le sens tactique et l’impétuosité des chefs de section,
    • la complicité entre les commandants de compagnie qui comprenaient les difficultés du voisin sans avoir à se les faire expliquer,
    • la confiance qu’accordait à ses commandants d’unité le lieutenant-colonel Le Borgne, chef prestigieux d’une grande intuition stratégique et d’une sérénité contagieuse, pimentée de cette pointe d’humour qui sommeille en tout Breton. 

La 2ième compagnie, épuisée, était fière de son action.  Outre des résultats flatteurs, elle avait rempli le contrat moral que cinq ans plus tôt, l’autre patron prestigieux du 3ième R.P.I.Ma, le colonel Bigeard, avait dressé en ces termes imagés «  … des compagnies rustiques, souples, félines et manœuvrières … ».

 

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Epilogue 1 : le 3ième R.P.I.Ma quittera Bizerte par bateaux le 3 octobre 1961 et débarquera à Alger le 5 octobre.

Epilogue 2 : la base stratégique sera cédée à la Tunisie en 1963.

Epilogue 3 : pour la petite histoire  … pas drôle : nous eûmes la désagréable surprise, au mois de novembre 1961, de voir nos bulletins de soldes amputés des impôts à payer à l’état tunisien pour notre séjour de deux mois et demi à Bizerte … en application des accords  dits « de coopération ».

Administration fiscale, quand tu nous tiens !

Général (c.r.) François CANN

le 1er mars 2011

Avenue du lieutenant Jacques Desplats

81108 Castres Cedex