Bataille de Diên Biên Phu

Journée du 6 mai 1954

Colonel Langlais

Lieutenant colonel Bigeard

Jeudi 6 mai 1954

Situation générale :

Bigeard et Langlais sortent inspecter les défenses de l’Est. Les hommes qu’ils rencontrent ne sont plus que des ombres que la faim, la fatigue et les blessures éprouvent. Derrière les armes automatiques ils trouvent des borgnes, des manchots et des boiteux, tous ceux qui sont sortis des galeries obscures des infirmeries en se disant tant qu’à mourir autant que ce soit à l’air libre.

Depuis les lignes françaises, on voit à la jumelle des commissaires politiques qui haranguent leurs troupes, les Bo-doïs crient et lèvent leurs casques en esquissant une danse. Cela sent l’assaut en préparation.

Soudain vers 16 H 00, l’artillerie se déclenche. Les derniers abris et blockhaus qui avaient résisté aux pluies s’aplatissent. Revenus en hâte devant leurs cartes et leurs radios, Bigeard et Langlais attendent l’assaut.

Les comptes sont vite faits. Le commandant Brechignac du II/1er RCP tient les dernières hauteurs de l’est avec les débris de quelques bataillons et deux de ses compagnies. Tourret et le 8e Choc tiennent le centre et les légionnaires la rive gauche de la Nam Youm. L’artillerie française n’interviendra qu’au profit des hauteurs, les mortiers des bataillons feront le reste.

Dans la matinée, des photos aériennes parviennent au PC GONO. Elles datent de la veille. Le général de Castries ne s’intéresse qu’à un endroit précis: le sud entre « Isabelle » et le réduit central. Il pense à l’opération « Albatros » et constate avec satisfaction qu’il n’y a toujours qu’une seule tranchée viêt qui barre le passage. Ce n’est donc pas un obstacle sérieux.

Trois colonnes doivent se former pour s’exfiltrer du camp : celle « d’Isabelle », celle de la Légion et celle des parachutistes. Les hommes sont prévenus, quelques maigres affaires sont mises dans les sacs, on distribue des rations de survie.

Au déclenchement de l’artillerie Viets, il ne nous reste alors que deux canons de 105 en état. Les premières vagues se jettent sur nos avant-postes.

Les mutilés, les plâtrés, les valides, tous se battent à un contre quarante.

Pour la première fois, des hurlements déchirent le ciel : seuls les légionnaires, anciens de l’armée allemande, reconnaissent de suite les orgues de Staline ; pour tous les autres, c’est une surprise. Les tirs sont imprécis mais le son de ces engins vrille les oreilles.

Les combats redoublent à la faveur de la nuit ; les Viets sont pressés d’en finir, ils perdent des centaines d’hommes à chaque assaut. Les Quads tirent toujours.

A compter de cet instant, la nuit toujours éclairée par les lucioles, l’évolution de la situation est indescriptible.

Sur tous les points d’appui qu’il leur reste, dans le moindre trou, les Français résistent en se faisant tuer sur place. Le 8ª Choc est dispersé un peu partout sur les « Eliane » près des ponts de la Nam Youm. On ne sait plus qui commande : les obus pleuvent sans discontinuer, on se bat seul, on se bat par groupes de cinq à six, à l’initiative.

Dans la nuit, les Viêts sont repoussés sur « Eliane » 2 et y perdent un bataillon sous les feux des canons  d’ « Isabelle » mais les vagues d’assaut se succèdent à une demi-heure. Sous la position, les sapeurs viets creusent encore. Hoang Noc Tue, chef de section au 374 régiment de la division 316 se souvient : « Éliane était clos par sept rangées de fils de fer barbelés entre lesquelles avaient été placés des tapis de mines. Quasiment imprenable d’autant que les Français se battaient bien. En vingt-deux jours, nous avons construit une sape de 120 mètres. Puis le 6 mai, les artificiers ont placé une tonne d’explosifs. Nous pensions être juste sous le blockhaus du sommet, l’explosion fut décisive. Le lendemain « Éliane » était conquis. »

A 23 heures en effet, une formidable explosion soulève une partie du sommet « d’Éliane » 2, ensevelissant bon nombre de défenseurs de la 2″ compagnie du 1er BPC. Le blockhaus du sommet reste pourtant intact ; les sapeurs viets s’étant trompés de quelques mètres. La position est encore tenue par trente-cinq parachutistes. Le capitaine Edme qui les commande demande du renfort au PC. On lui répond : « Où voulez-vous que je le prenne ? Plus un homme, plus un obus mon vieux. Vous êtes parachutiste, vous êtes là pour vous faire tuer ! »

Capitaine M. DESMONS,

commandant la 4/8ème Choc.

Situation au 8ème Choc :

La face nord n’étant pas attaquée, Langlais demande à Tourret de la dégarnir pour renforcer les collines et préserver les ponts.

Etat des pertes :

1 tué : Caporal Pierre FONTAINE, chef de pièce FM à la « 4 ». Tué d’une balle dans la tête sur « Eliane » 10.

Le capitaine Desmons de la 4ème compagnie se souvient encore de sa dernière contre-attaque :

« Sur le flanc de la colline il y a un char immobilisé par un coup de bazooka mais qui, tout en brûlant, tire encore ses dernières munitions. Appuyé contre ce char, un lieutenant de la Légion, la gorge traversée par une balle, essaye encore de donner quelques ordres. Un légionnaire s’approche de lui et l’aide à se diriger vers l’arrière. Mourir là ou ailleurs quelle importance ? »

Desmons est bien persuadé qu’il ne reverra jamais ce lieutenant. La fin de cette histoire se situe en 1964 au cours d’une cure, Desmons aperçoit soudain bien vivant le lieutenant de la Légion qu’il croyait mort.

Des éléments du 8° Choc quittent « Épervier » pour « Éliane » 10.

Le sergent-chef Bernot de la « 2 » raconte son dernier combat :

…« Nous recevons l’ordre de rejoindre le bord de la rivière à hauteur du pont. La boue règne en maîtresse. La tenue se réduit aux pataugas, un pantalon et une veste de combat. Nous traversons la Nam Youm avec de l’eau jusqu’au-dessus de la taille. Nous rejoignons notre ancien PA d’« Eliane »  10 peu avant le lever du jour. Les Viets y ont déjà pris pied à l’extrémité nord-est. Je vide quelques chargeurs de FM sur des Viets dont on aperçoit par moments les casques en contrebas, à quelques dizaines de mètres. A peine ai-je rendu l’arme au caporal Pierre Fontaine qu’il se fait tuer, ce sera le seul de la journée !  Il était arrivé quelques jours plus tôt. Impossible de rejoindre le capitaine qui n’est pourtant qu’à dix mètres. Le PC « d’Eliane » 10 succombe, il est 9 heures…

Capitaine G. BAILLY commandant la 3/8èmre Choc.

Avenue du lieutenant Jacques Desplats

81108 Castres Cedex