Bataille de Diên Biên Phu

Journée du 24 avril 1954

Samedi 24 avril 1954

Situation générale :

« Huguette » 1 tombé, le flanc ouest d’« Opéra » est désormais en première ligne. La position devient intenable.

Situation au 8ème Choc

Neutralisée par les tirs directs du vietminh, la 4ème compagnie du « 8 » est retirée d’« Opéra » au grand soulagement du lieutenant Desmons qui trouve la position tout à fait inconfortable.

Etat des pertes

3 tués pendant le repli d’« Opéra » : caporal-chef MILLET et le 1″ classe MORET (décédés tous les deux suite à leurs blessures), ainsi que le para LE VAN DINH.

Douze hommes sont blessés .

Un marin à Dien Bien Phu

Dans la nuit du 22 au 23 avril, un des postes du point d’appui « Huguette » 1 est pris par les Viêts. Le général de Castrie décide de le reprendre par une contre-attaque terrestre bénéficiant de l’appui aérien le plus important possible.

J’interviens avec mon Hellcat. Au cours d’un passage, je suis touché sans doute par un obus de 37. Secousse, éclatement du tableau de bord, incendie. « J’ai pensé : tout est foutu ! ».  Quand je suis arrivé au fond de la cuvette le 23 avril 1954, suspendu à ma corolle à la façon de mes frères parachutistes mais avec beaucoup moins de grâce qu’eux, je connaissais déjà très bien le camp retranché.

D’abord pour y avoir séjourné cinq mois auparavant alors que, pas encore retranché du tout, il ressemblait à un gros village avec ses maisons sur pilotis et ses paysannes thaïs que je trouvais jolies. Bien sûr en cinq mois le paysage avait changé. Plus de petits cochons courant sous les cases, ni de belles villageoises ; les habitations suspendues étaient devenues souterraines et les barbelés avaient remplacé l’herbe à éléphant.  Mais je connaissais surtout Diên Biên Phu pour l’avoir survolé souvent au cours des mois précédents et au moins une fois par jour depuis le 13 mars. C’étaient des vols très longs dont nous étions heureux de revenir en même temps qu’anxieux de les renouveler tant nous étions solidaires de nos camarades biffins. Ces missions étaient-elles efficaces ?

Nous n’en étions pas certains, les « Viêts » sachant si bien se camoufler et se protéger. Mais nous sentions que notre présence dans leur ciel réconfortait les assiégés. De cette époque date ma conviction que l’âme d’un combattant est plus importante que son outil et qu’il en faut toujours tenir compte dans l’utilisation des moyens…

Ces missions sur Diên Biên Phu étaient devenues pour beaucoup d’entre nous un peu comme une drogue. Il m’est arrivé d’en faire trois dans la même journée dont une à bord d’un Fairchild Packett, pour ma culture générale. Nous nous sentions liés par un contrat tacite avec ceux de là-bas qui nous attendaient

J’atterris sous le feu ennemi. Couché dans les rizières, pas loin d’« Éliane » 2 qui résistait encore. Pas rassuré. Mais repéré par trois légionnaires armés de FM, venus d’« Eliane» 2: ça m’a rendu un peu de fierté. Rencontre avec le commandant Grauwin, « un saint ». Au réveil, partage de la dernière bouteille de champagne avec Geneviève de Galard et l’adjoint de Grauwin, Gindrey (ancien condisciple au collège). J’ai proposé mes services pour aller aider mes copains à « Éliane » 2

Vu de notre porte-avions « Arromanches », Diên Biên Phu avait ses grands noms et ses bataillons prestigieux déjà entrés dans l’Histoire par de précédents faits d’armes. Ils y étaient, c’est vrai, et formaient tant l’ossature que l’âme de la défense. Avant de connaître aussi les autres, j’avais pour eux l’admiration que leur vouaient tous les pilotes.

Celle-ci s’était traduite au cours du mois d’avril par l’envoi de quelques bouteilles de whisky que j’avais eu le plaisir de délivrer moi-même au moyen de cet armement appelé « cluster parachute » où la partie cluster (sorte de très grosse grenade descendant au bout d’un petit parachute) bricolage ingénieux de nos armuriers, avait été remplacée par des bouteilles. Le produit était arrivé à bon port mais pas au bon destinataire ; l’unité moins prestigieuse qui l’avait reçu sur la tête s’étant bien gardée de le lui faire parvenir. Le fait avait été connu si bien que, dans la place, je me suis vu remercié doublement, par ceux auxquels le whisky était destiné, pour le geste, et par ceux qui l’avaient bu, pour la qualité de la marchandise. Comme quoi on peut multiplier les bénéfices en n’étant pas trop précis dans son tir. J’ai découvert à cette occasion l’un des secrets de la diplomatie.

Mais limiter Diên Biên Phu aux grands noms et aux unités prestigieuses serait terriblement injuste. Mon souvenir le plus vivace du camp retranché est précisément celui des hommes admirables que j’y ai rencontrés.

Tel ce capitaine tombé du ciel et que j’ai vu apparaître une belle nuit, l’avant dernière peut-être, amical, joyeux, souriant comme s’il venait à la fête. Aide de camp du général Navarre, il savait pourtant mieux que quiconque où il mettait les pieds. Il s’en fût sans plus attendre sur « Éliane » 2 pour s’y battre sans relâche jusqu’à la fin.

Tel mon petit cousin découvert par hasard. Tout jeune soldat, à peine débarqué, ne connaissant de l’Indochine merveilleuse que cet enfer et pourtant plein de flamme, plein de vie, plein de gaieté et d’enthousiasme. Nous ne nous étions jamais rencontrés auparavant. Nous ne nous sommes pas revus. Il est mort, comme tant d’autres, sur la grande piste.

Simples exemples extraits de ma mémoire à cause des images précises, celles de sourires, qui s’y associent. Mais beaucoup d’autres y figurent aussi, avec leurs noms, leurs visages, leurs gestes, leurs paroles, leur présence quelque part à un moment précis…

Diên Biên Phu avait aussi ses hauts lieux, ceux où l’esprit avait soufflé et ceux où il soufflait encore. Quand j’y suis arrivé, « Béatrice », « Gabrielle », « Anne-Marie », « Françoise » avaient depuis longtemps changé d’amants. Les autres, « Huguette », « Claudine », « Dominique » hésitaient encore et partageaient leurs faveurs. Seule, « Éliane » était restée totalement fidèle. Elle le fut jusqu’à la fin.

C’est ainsi que j’assistais à l’agonie « d’Eliane », prise, déprise, reprise et prise encore tout au long de la nuit du 6 au 7 mai. Moribonde hélas à l’aurore. J’avais tenté de la sauver en lui accordant les lucioles qu’elle demandait mais ce fut vain. A qui obéir cette nuit-là ? A celui qui demandait la lumière car sans elle on ne savait se défendre ? Ou à celui qui demandait l’obscurité car sans elle on ne pouvait parachuter ? Voix lointaines au téléphone, assourdies par les obus mais véhémentes, d’officiers très supérieurs qui chacun disait « c’est un ordre ». A quoi servait de se bien défendre si le lendemain nous nous retrouvions sans munition pour continuer à nous défendre ? Mais à quoi serviraient ces munitions parachutées si nous ne pouvions vivre assez longtemps pour simplement les ramasser ? L’ombre ou la lumière ?

La bataille affirmait clairement ce qu’elle était : manichéenne. J’optai pour la lumière… ».

                                                                                                                                                                            B. KOLTZ aéronavale

Golfe du Tonkin, février 1954.

Sur le pont d’envol du porte-avions « Arromanches », le lieutenant de vaisseau Bernard KOLTZ, 26 ans, pilote d’Hellcat de la 11F, prépare son catapultage. Bernard KOLTZ sera abattu le 23 avril 1954 lors de sa 38ème mission d’assaut au-dessus de Dien Bien Phu.

Avenue du lieutenant Jacques Desplats

81108 Castres Cedex